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le commissaire Léon

Publié le par HITOYUME

Le commissaire Léon  n'était pas de service ce jour-là. Le repassage s'accumulait, aussi c'est à cette tâche ménagère que serait consacré son congé; heureusement, le commissaire Léon aimait le frôlement sensuel de son fer chaud sur les chemises et les caleçons de son Marcel. Ah, Marcel! si beau, grand, fin, la moustache satinée, des cheveux blonds, longs, ondulés, desquels émergeait la boucle d'or qui ornait son oreille droite. Drôle de couple, celui que formaient Marcel et le commissaire; l'un avec sa dégaine de rocker, et l'autre toujours tiré à quatre épingles. On chuchotait souvent derrière leurs dos, mais le commissaire s'en fichait.
Marcel était routier. Mais la poésie de l'essieu a fichu le camp : aujourd'hui, c'est le rendement qui prime : toujours plus vite, plus loin, plus longtemps, tel était devenu le destin de Marcel, et le commissaire Léon trouvait bien longues ses absences. A chacune de leurs retrouvailles, c'était une avalanche de questions. Avait-il été fidèle ? Avait-il su résister à ces mille tentations qui assaillent le routier sur chaque aire d'autoroute ? La jalousie taraudait le commissaire Léon, ce qui, à ses yeux, était la preuve d'un grand amour.
La matinée était calme, trop calme, loin de l'agitation de l'hôtel de police, loin des câlins de Marcel. Ah ! si celui-ci avait eu de l'ambition...Le commissaire l'aurait pistonné pour qu'il arpente le trottoir. L'uniforme lui siérait si bien, quitte à ce qu'il sacrifie ses boucles, celle de ses cheveux, et celle qui ornait son lobe droit. Mais Marcel s'accrochait, têtu, à son semi-remorque, et rejetait les bonnes raisons du commissaire, en vrai mâle qu'il était.
Un gros soupir souleva la poitrine du commissaire Léon. décidément, l'absence de l'aimé se faisait pesante aujourd'hui...Un air de Barbara s'en vint lui chatouiller les lèvres :
- Ah, dis, Marcel, quand reviendras-tu ????
Midi sonna douze mélancoliques fois au carillon franc-comtois. L'heure du déjeuner. Le commissaire Léon n'avait pas faim. La sagesse, pourtant, recommandait de se sustenter. Il fallait tenir le coup. Le commissaire Léon surveillait son poids. Aussi, le menu du déjeuner serait léger : deux oeufs coque, quelques feuilles de salade, un yaourt maigre.
Le commissaire Léon se rendit à la cuisine, déposa deux oeufs dans une casserole d'eau froide, alluma la gazinière, retourna le sablier, et revint dans le living débrancher son fer. Ce fut à cet instant qu'on sonna à la porte d'entrée. Le commissaire, qu'aucune crainte n'effleurait jamais, alla ouvrir. Un individu, l'air furieux, fit une irruption brutale à l'intérieur de l'appartement. Sa poussée fut si violente que le commissaire alla heurter la table à repasser, qui s'effondra. Au même moment, la porte d'entrée claquait de façon inquiétante. L'énergumène sortit un énorme revolver qu'il se mit à brandir sans équivoque.
- Ah ! éructa le forcené, t'étais donc bien là, hein, saloperie ! Tu me reconnais, dis, tu me reconnais ? Dédé-le-fébrile ! Tu m'as alpagué, il y a huit ans de cela ! J'ai eu droit à la perpète, grâce à toi, mais c'est mal me connaître ! Je me suis fait la belle de la centrale, et ma première pensée a été pour toi, charogne ! T'as l'air ému, hein, dis ? Tout flic que t'es, je m'étais juré d'avoir ta peau ! J'ai appris que t'avais pris du galon, depuis le temps; paraît que t'es commissaire, maintenant ? Tu vois, on m'a parfaitement affranchi sur ton compte, et ton compte, justement, je vais te le régler vite fait !
Le commissaire Léon essayait de garder la tête froide, et ce n'était pas facile. On en voyait tant, dans son fichu métier...Mais l'homme qui était là, debout, menaçant, bien sûr qu'on ne pouvait que le reconnaître : il avait déjà tué deux fois, et on sentait qu'il était bien capable de recommencer. L'officier de police gisait à terre, le fer à repasser à un mètre de sa main. Si seulement il était possible de s'en emparer et de le balancer sur le bras du tueur...Pour cela, il fallait l'amadouer, le distraire...Pour gagner du temps, le commissaire Léon se mit à parler, tentant de convaincre son agresseur qu'il avait tort d'agir ainsi, qu'il serait repris de toute façon, que le meurtre d'un flic coûte très cher, qu'il terminerait sa vie dans un cul-de-basse-fosse.
Tout n'était pas totalement pourri en lui, ça se voyait. Au fond, il était un brave type. Il avait mal tourné, mais la faute à qui ? Sans doute à une enfance malheureuse. Il fallait parler, parler, inventer n'importe quoi, le saouler de mots. Les minutes filaient. Le commissaire Léon n'était toujours pas parvenu à dévier suffisamment l'attention de l'évadé pour atteindre le fer à repasser. Le Fébrile sortit soudain de sa torpeur. Il avait assez joué, et s'écria d'une voix rauque :
- Y'en a marre, maintenant ! Tu crois m'endormir avec tes boniments, mais tu connais mal Dédé ! Je n'ai qu'une idée en tête : te descendre. J'ai pensé qu'à ça, jour et nuit, en taule. Ca me soutenait. Je te voyais comme ça, comme tu es là, maintenant, avec la trouille au ventre, car tu as peur, hein ?
En même temps qu'il disait ces mots, il leva son calibre des deux mains et visa. Une détonation éclata, puis une deuxième. Le Fébrile se retourna, effaré, car ce n'était pas lui qui avait tiré.
Le commissaire Léon profita de cette seconde de distration pour empoigner le fer et bondir sur son agresseur, qui se retrouva assommé, aussi efficacement que rageusement, puis menotté en un tournemain. Un point restait à éclaicir : d'où étaient venues ces détonations qui ressemblaient à des coups de feu ? Léon eut la réponse en entrant dans la cuisine : l'eau de cuisson des oeufs s'était totalement évaporée. Normal, au bout d'une heure ! Les deux oeufs avaient continué de cuire dans la casserole vide, puis, l'un après l'autre, ils avaient éclaté. Le commissaire Véronique Léon éclata de rire. Quand elle racontera ça à son petit mari chéri, à son Marcel !

A  LUNDI

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T
et bien le hasard a bien fait les choses et on peut dire que le régime du commissaire lui a sauvé la vie !<br /> à lundi
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