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carrefour dangereux

Publié le par HITOYUME

La liberté individuelle, c'est comme une sacoche de voyage sur la place de la Gare à Naples : dès que vous tournez les yeux une demi-seconde, elle est menacée. Souvent, c'est plus violent encore : elle est menacée et circonvenue sous vos yeux, en toute innocence, par des gens débordant de bons sentiments, auxquels il ne vient pas à l'esprit un seul instant que l'enthousiasme de leur générosité humaniste réchauffe les plus laides vipères.
En théorie, la liberté individuelle ne souffre aucune concession. Elle n'a pour seul principe que la responsabilité de chacun et pour seule limite que la liberté de l'autre. Mais en pratique, sans parler du fait que ces rutilants concepts sont sujets à toutes les adaptations spécieuses possibles et imaginables, elle est, dans sa plus élémentaire application, celle de la vie quotidienne, sans cesse grignotée, entamée, microscopiquement écornée, dans des détails parfois si triviaux qu'on hésite à employer de grands mots à leur sujet, ou si insignifiants qu'on y prête aucune attention. En gardant pour un autre jour les censures rampantes des campagnes antitabagiques, antialcooliques ou antisexistes, prenons comme seul exemple typique l'obligation de mettre la ceinture de sécurité en ville.
Partie intégrante de la liberté individuelle, le droit pour chaque citoyen de prendre en toute conscience un risque qui n'engage que lui-même, est piétiné depuis plusieurs années par trois types d'arguments, si j'en oublie, faites-moi signe. Le premier se veut généreux : il faut sauver des vies humaines quel qu'en soit le prix. Le deuxième, civil : en jouant avec sa sécurité, on attente à celle des autres. Le troisième beaucoup plus prosaïque : les blessés coûtent cher à la communauté nationale.
Et on est passé insensiblement, sans que nul ne proteste, de la conviction à la coercition. Quand on commence à descendre cet escalier, on trouve toujours une marche en-dessous de la précédente, sans grande différence de niveau entre les deux. Et on arrive en bas sans même s'en apercevoir. Sauver des vies humaines à tout prix serait une bien louables profession de foi si ses zélateurs officiels ne la gommaient si facilement de leur morale dès que la raison d'Etat s'en mêle, qu'il s'agisse de rigueur policière, de commerce d'armes, voire de défense nationale, ce qui la rend dans leur bouche, déjà beaucoup moins convaincante. Mais puisqu'il s'agit pour eux de diminuer à tout prix les risques encourus dans la vie quotidienne, qu'ils aillent au bout de leur raisonnement : une voiture est bien moins dangereuse quand elle est arrêtée.
Interdisons aux conducteurs de démarrer sous peine d'amende, je vous garantie une baisse de 100% des accidents de la route. Mais il restera les accidents ménagers, les accidents de travail. Interdisons l'accès aux cuisines, aux chantiers, et puis, pourquoi mégoter, interdisons aux citoyens de sortir de leur lit. Quoiqu'ils risquent encore des escarres et des algies diverses dues aux risques de fornication abusive.
C'est pas simple. Jouer avec sa sécurité, c'est menacer celle des autres. J'ai beau chercher, je ne vois pas qui je menace d'autre que moi-même en ne mettant pas ma ceinture pour aller au cinéma. En quoi un chauffeur de car scolaire avec sa ceinture serait moins dangereux que sans, sinon que s'il emplafonne un pilier de pont, il sera le seul à avoir la vie sauve ? Ca coûte cher. Ah. Voilà une objection franche et décisive. Là, plus question de pleurer les macchabées, ils coûtent plus grans chose, mais il s'agit des blessés à charge de la sécu. Ca, d'accord, ça fait réfléchir. Seulement, il y a bien d'autres domaines qui coûtent cher à la sécu : la plupart des sports, le pinard, la bouffe de merde, les clopes, les étrons de chien, et tant, et tant. Qu'est-ce qu'on interdit, qu'est-ce qu'on autorise ? Interdire aux gens de fumer pour préserver leur santé malgré eux et faire des économies ? Certains disent déjà, en toute ingénuité : pourquoi pas ? D'accord. Et après les cigarettes ? Le sucre ! Mauvais, le sucre. Les caries, le diabète. Et après ? La baise ! Le sida, les MST... Et après ? Les boîtes de nuit ! L'excitation, la fatigue, les troubles auditifs... Et après ? Les livres trop intellectuels ! Les déprimes, les angoisses, les migraines... Et après ? L'acné, les coups de soleil... j'éxagère ? Pas un instant. C'est une question de nuances, le principe est le même. Alors faut laisser les types s'éclater la gueule sur l'autoroute ? Non plus. Mais la frontière entre la sollicitude et l'atteinte à la liberté individuelle est si floue, si ténue, qu'il convient de se montrer pointilleux et teigneux en la matière. La ceinture obligatoire en ville est une mesure autrement plus discutable que son application hors agglomération.
Surtout qu'en matière de sollicitude officielle, je soupçonne ceci :
Au ministère des transports, ou de l'intérieur, que sais-je, un trou du cul du 3è cabinet du ministre adjoint, remplace le trou du cul précédent. Il est tout frétillant, et comme il n'a pas l'intention de lâcher de si tôt sa place, son salaire et sa miette de pouvoir durement conquis, c'est humain, il le montre. En prenant des i-ni-tia-tives ! Et comme ce sous-jeune loup adjoint ne peut pas rendre le casque obligatoire pour les solex ou la ceinture sur les autoroutes vu que c'est déjà fait, il a pas le choix. Il rend la ceinture obligatoire en ville. Avis aux successeurs de l'aide jeune-loup suppléant trou du cul : sans trop se fouler, il reste comme mesures évidentes à prendre : le casque obligatoire pour les vélos, puis pour les patinettes et les patins à roulettes, puis pour les joggers. Il reste : les ceintures de sécurité obligatoires pour les passagers à l'arrière, à non merde, un jeune trou du cul l'a imposée,, puis pour les bagages dans le coffre, puis pour la roue de secours. Puis pour les passagers des trains, du métro, des bus. Il reste de quoi faire.
Combien de ce genre de mesurettes hâtives, insuffisamment fondées, quand pas complètement aberrantes, sont prises pour la seule et unique raison qu'un récent haut fonctionnaire se doit de justifier vite et bien son zèle auprès de ses supérieurs ?
Bref, tout ça pour dire que la générosité désintéressée des autorités, j'y crois pas plus que ça. Quoi qu'il en soit il n'en sortira comme résultat notable, hormis les discussions de chiffres incertains, qu'une occasion de plus de jouer les attardés mentaux avec la maréchaussée : Mais je vous jure que je l'ai oubliée, monsieur l'agent ! Et vous voyez pas que je suis enceint ? D'ailleurs, c'est pas une voiture, c'est un canoë-kayak. Ah ? C'est obligatoire aussi pour les canoë-kayaks ? Fais des appels de phares pour les copains, Germaine... En attendant qu'un ministère de l'infantilisation rende les bavoirs obligatoires.

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