dans les arts martiaux
ans les arts martiaux comme dans le jeu de GO, connaître bien
la technique (waza), s’avère très pratique. Et il est certain que chez un être jeune, le corps sert d’élément fondamental, tandis que chez un homme plus âgé, technique et esprit prédominent. En
fait, le plus important reste shin, l’esprit. Puis, viennent la technique et le corps. Dans d’autres sports, surtout en Occident la force du corps doit être la plus développée. Ce n’est pas le
cas dans les arts martiaux : en judo, le corps doit être formé, mais il est secondaire par rapport à la technique et à l’esprit intuition nécessaire pour bien l’appliquer. Si forte technique et
corps luttent ensemble, c’est la technique qui vaincra. Si un esprit fort combat une technique forte, c’est l’esprit qui gagnera car il saura trouver la faille. On connaît l’histoire du samurai
qui, à la suite d’une rixe, combattit un ouvrier. Il lui fait un habile étranglement à issue mortelle, l’ouvrier suffoque quand, au bout de ses doigts, il sent les testicules de son adversaire,
qu’il agrippe et sert de toutes ses forces. Au bout de quelques instants, le samurai est obligé de lâcher prise, vaincu. L’entraînement ne doit pas être uniquement concentré sur le développement
du corps. Evidemment, dans les tournois modernes, on ne lutte pas pour la vie ou la mort, mais pour gagner des points : force du corps et de la technique suffisent alors. Dans les temps anciens,
il en allait tout à fait autrement puisque la vie se trouvait en jeu : alors l’intuition de l’esprit décidait tout, en dernier ressort. Aujourd’hui, on devrait retrouver cela ; dans chaque
combat, faire comme si la vie se trouvait engagée, même avec des sabres en bois. Alors, les arts martiaux retrouveraient leur vraie place : la pratique de la voie. Sinon ce n’est qu’un jeu .
Force des corps, de la technique et force de l’esprit, sont en fait plus ou moins à égalité, mais c’est toujours shin, l’esprit, qui décide de l’issue du combat. Je vous ai déjà raconté
l’histoire du samurai qui vint voir le légendaire maître Myamoto Musashi, et lui demanda de lui enseigner la véritable voie du sabre. Ce dernier accepta. Devenu son disciple, le samurai passait
son temps, sur l’ordre du maître, à porter et couper du bois, aller chercher de l’eau à la source lointaine. Et ce, tous les jours, durant un mois, deux mois, un an, trois ans. Aujourd’hui,
n’importe quel disciple se serait enfui au bout de quelques jours, quelques heures, même. Le samurai, lui, continuait et, en fait, entraînait ainsi son corps. Au bout de trois ans, il n’y tint
toutefois plus, et dit à son maître : « Maître quel entraînement me faites-vous subir là ? Je n’ai pas touché un sabre depuis mon arrivée ici. Je passe mon temps à couper du bois à longueur de
journée et à porter de l’eau ! Quand m’initierez-vous ? » « Bon, bon, répondit le maître, je vais vous apprendre la technique, puisque vous le désirez ». Il le fit entrer dans le dojo et, chaque
jour, du matin au soir, lui ordonnait de marcher sur le bord extrême du tatami et de faire ainsi, pas à pas, sans se tromper, le tour de la salle. Le maître lui apprenait ainsi la concentration
sur la marche. Se concentrer sur un acte, le faire parfaitement. Car les détails de la technique, les trucs, sont en fait secondaires par rapport à la concentration. Si on est suffisamment
concentré, un geste, un seul, suffit. Donc, le disciple marcha ainsi un an le long du bord du tatami. Au bout de ce temps, il dit au maître : « Je suis un samurai ; j’ai beaucoup pratiqué
l’escrime, et rencontré d’autres maîtres de kendo. Aucun ne m’a enseigné comme vous le faites. Apprenez-moi enfin, s’il vous plaît, la vraie voie du sabre ». « Bien, dit le maître, suivez-moi ».
Il l’emmena loin dans la montagne, là où se trouvait une poutre de bois traversant un ravin d’une profondeur inouï, terrifiante. « Voilà, dit le maître, il vous faut traverser ce passage ». Le
samurai disciple n’y comprenait plus rien et, face au précipice, hésitait, ne sachant plus que faire. Tout d’un coup, ils entendirent toc-toc toc, le bruit d’un bâton d’aveugle, derrière eux.
L’aveugle, sans tenir compte de leur présence, passa à côté d’eux et traversa sans hésitation, en la tapotant de son bois, la poutre qui franchissait le ravin. « Ah, pensa le samurai, je commence
à comprendre. Et si l’aveugle traverse ainsi, moi-même je dois en faire autant ». Et le maître lui dit à cet instant : « Pendant un an, tu as marché sur le bord extrême du tatami, qui est plus
étroit que ce tronc d’arbre, alors, tu dois passer ». Il comprit et … traversa d’un coup le pont. Voilà, l’entraînement était complet : celui du corps pendant trois ans ; celui de la
concentration sur une technique (la marche) pendant un an, et celui de l’esprit face au ravin, face à la mort. Pourquoi l’esprit est-il le plus important ? La raison est, qu’en dernier ressort,
il décide. Dans les arts martiaux japonais des temps anciens, un seul geste juste donnait la mort. D’où la lenteur, la concentration des mouvements avant l’attaque. Un coup, et c’est fini : un
mort, parfois deux, si partaient deux coups justes. Tout se joue en un instant. Dans cet instant-là, l’esprit décide tout, technique et corps suivent. Dans tous les sports aujourd’hui existe un
temps d’attente ; dans les arts martiaux, il n’y a pas de temps d’attente : si l’on attend un tant soi peu, on est perdu, l’adversaire en profite. L’esprit doit être sans cesse concentré sur la
situation, prêt à agir ou réagir. D’où son importance primordiale. Il n’est pas question de choisir une technique d’attaque. Cela doit être fait inconsciemment, automatiquement, naturellement. La
pensée ne peut intervenir car sinon, il y a temps d’attente, donc faille. La conscience permanente, éveillée, de l’ensemble de la situation est donc essentielle pour que jaillisse le geste juste
: la conscience sélectionne un coup, technique et corps partent en avant. Et c’est fini. Par exemple, en kendo (la voie du sabre), il y a un coup appelé debana waza : il s’agit d’attaquer avant
que l’adversaire ne le fasse, de frapper avant qu’il ne frappe. Donc, dans cette technique du debana, l’intuition est en effet très importante, elle est toujours essentielle. Si un adversaire
vous porte un coup inattendu, vous devez alors avoir l’intuition de la parade, la conscience de la fuite. Pour vous sauver du coup ! Conscience qui déclenchera la réaction du corps et la
technique appropriée. Mais si vous pensez alors : « Je dois utiliser telle ou telle technique », dans le moment de votre pensée, vous serez touché ! L’intuition déclenche le corps et la
technique. Corps et conscience s’unissent : on pense avec le corps entier, on s’investit totalement dans la réaction. C’est pour cela qu’il est difficile de faire des catégories sur l’importance
ou la hiérarchie de shin, l’esprit, waza, la technique et tai, le corps. Ils doivent être unis. Pas séparés. C’est leur parfaite union qui crée l’acte juste. Pas leur séparation. L’unité totale.
Dans les arts martiaux japonais, la voie du sabre, le kendo, a toujours été considéré comme le plus noble art de combat, car il unissait mieux ces trois facteurs : conscience, intuition, corps et
technique. Dans tous les arts martiaux, l’unité entre esprit, corps et technique, est essentielle. Penser puis frapper n’est pas le geste juste. Il faut saisir suki, l’occasion, l’opportunité.
C’est très important, l’opportunité. La pensée ne peut le faire. Seule la conscience peut saisir l’opportunité de l’action. Le vide où il faut agir. L’opportunité pour l’acte. L’occasion de
l’attaque. Saisir le défaut. Par l’intuition, et c’est là un point très important, il faut saisir le moment où, sur l’inspiration, l’adversaire présente une faille … Vous, vous devez expirer
avant-pendant l’attaque. Un coup reçu à l’inspiration peut être dangereux. Sur l’expiration, non. Alors, il faut saisir une opportunité pendant que l’adversaire inspire, car alors, il présente
une faille, un vide. Il y a toujours opportunité à l’inspiration, car le corps devient plus léger, moins concentré. L’inspiration est une très bonne chance que l’esprit-corps doit savoir saisir.
Attaquer sur l’inspiration de l’adversaire, quand il présente un côté faible, un défaut dans sa défense, dans son attitude, c’est un très grand secret. L’inspiration est un grand suki, une grande
opportunité. Un excès de tension aussi : ainsi, lors d’un tournoi, on ne peut maintenir l’attention au même niveau d’intensité. A un moment donné, notre attention faiblit : nous présentons alors
une faille, un suki, une occasion, que l’adversaire doit savoir saisir. Mais cette histoire d’opportunité se retrouve dans tous les combats, pas uniquement en arts martiaux : dans la discussion,
dans les affaires … Vous ne devez pas montrer de failles : ni en arts martiaux, ni dans la vie quotidienne. La vie est un combat ! Il faut rester concentré, ne pas dévoiler ses points faibles, et
donc les réduire par un entraînement continu à la maîtrise de soi. Toute l’éducation japonaise traditionnelle se fondait sur cette vigilance : ne pas montrer ses points faibles pour qu’autrui
n’en profite pas. Le jeu du tournoi est de dévoiler le point faible de l’adversaire : on y arrive par l’attention, la volonté, la concentration. Et quand l’opportunité se présente, la saisir
farouchement, sans penser. Et en tournoi, comme dans les combats de la vie quotidienne, le « struggle for life », l’observation des yeux est très, très importante : car quand les yeux de
l’adversaire bougent, se troublent, hésitent, doutent, faiblissent, il y a suki, opportunité, faille. Dans tous les moments critiques de notre vie, il ne faut pas montrer ses points faibles,
sinon, c’est l’erreur, la chute, la défaite. Cette vigilance là ne vient pas d’une tension permanente du corps qui serait vite fatigué, mais de l’attention de la conscience. D’où l’importance de
shin, l’esprit. Le corps montre des points faibles, la conscience peut corriger, canaliser, diriger tout cela. Quand on bouge, on montre toujours des points faibles. Là où des jeunes se démènent
vigoureusement en attaques et actions plus ou moins désordonnées, là où des hommes d’âge mûr font entrer en jeu toute l’expérience de leur technique, de vieux maîtres se contenteraient d’un
combat de l’esprit, par et avec les yeux. Si l’on bouge, la conscience bouge aussi, et l’on montre une faille. Le premier qui faiblit est radicalement perdu car l’autre réagit d’un coup. Vous
connaissez l’histoire des trois chats : un samurai avait chez lui un rat dont il ne parvenait pas à se débarrasser. Il fit alors l’acquisition d’un magnifique chat, robuste et vaillant. Mais le
rat, plus rapide, se joua de lui. Le samurai prit alors un autre chat, très malin et astucieux. Mais le rat se méfia et ne se montra plus que quand le chat dormait. Un moine zen du temple voisin,
prêta alors au samurai son chat : celui-ci avait l’air on ne peut plus quelconque, il sommeillait tout le temps, indifférent à l’environnement. Le samurai haussa les épaules, mais le moine
insista pour le lui laisser. Le chat passait son temps à dormir, et bientôt, le rat s’enhardit à nouveau : il passait et repassait devant le chat, visiblement indifférent. Et un jour, subitement,
d’un seul coup de patte, le chat l’attrapa et le terrassa. Puissance du corps, habileté de la technique, ne sont rien sans la vigilance de l’esprit ! Une conscience juste est essentielle au
mouvement juste du corps. La conscience ne doit pas s’affoler ni calculer : juste s’adapter complètement à ce qui se passe. Portez sans cesse votre concentration sur la respiration, sur votre
expiration, qui doit être lente, longue, et descendre le plus bas possible dans l’abdomen, dans le hara. Et de vos yeux ne lâchez pas les yeux de l’adversaire : suivez ainsi son mouvement
intérieur. Concentrez-vous donc sur l’expiration, c’est très important. Qu’elle soit la plus longue, la plus calme possible : cela aide à ne pas être fatigué ou passionné.
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