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Publié le par HITOYUME

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Image and video hosting by TinyPic Au centre, dans la maison, il y avait Maurice Ibarrumi, dit le Gnocchi pour son long passé transalpin, dit le Muet par la manière qu'il avait d'expliquer ses griefs aux victimes de ses règlements de compte, dit Sartre sans qu'on sache si c'était à cause d'une de ses travailleuses prénommée Simone ou en raison du temps qu'il mettait à remplir les mots croisés du journal de Mickey, dit parfois aussi le Sédatif, à cause de la somnolence qui s'emparait invariablement du public quand il prenait à un greffier de tribunal de lire son casier judiciaire in extenso.

Autour, il y avait nous. Nous, les policiers de la 18è brigade, dont la mission actuelle était de traquer ce monstre.

"Nous allons lui tendre une souricière dans cette maison, avait annoncé notre chef, le commissaire Naudel. Si notre filet est convenablement tressé, il n'a aucune chance de s'en sortir. Ce coup-ci, sa carrière est bien finie".

Nous tressâmes convenablement le filet, les inspecteurs Pollet, Gonfanelli, Dutourd, Prêtre, Malfatu et moi. Une fois cette parfaite souricière tendue autour de la maison et le gibier coincé dedans, le commissaire Naudel avait enjoint au truand de se rendre.

"Ah ah" avait seulement répondu Ibarrumi, ce à quoi notre chef avait rétorqué avec civilité : "Si vous voulez, monsieur Ibarrumi" et s'était retiré. Il faut dire qu'entre-temps, il avait appris la destination ordinaire de la maison en question : un pensionnat catholique de jeunes filles de bonne famille, rempli à craquer en raison de l'approche du bac, et qui ne contenait dans ses murs pas moins de 5 filles de députés, 16 de hauts notables du coin, 2 de sénateurs et 1 de ministre.

- La partie va être serrée, les enfants, dit notre chef en contemplant tristement dans ses jumelles la face réjouie qu'arborait le malfrat sur le balcon où il s'était réfugié, juste au-dessus du dortoir où étaient rassemblées les élèves, les bras chargés d'un paquet de grenades et d'une caisse de dynamite. Oui, j'ai bien peur qu'elle ne soit serrée...

- On n'a peut-être pas choisi le bon endroit pour tendre notre souricière, intervint Pollet qui était le plus clairvoyant d'entre nous, mais psychiquement le plus fragile.

- J'avais bien dit que c'était pas un claque, grogna Dutourd. Cette sainte vierge au-dessus de la porte, et puis cette inscription : "Labor omnia vincit Improbus"! Vous avez déjà vu un claque porter un nom pareil, vous ?

- Chef, on pourrait proposer au Gnocchi de faire comme si on l'avait pas vu, suggéra Prêtre. On le laisse repartir comme si de rien n'était et on reprend la poursuite plus tard...

- Je lui ai déjà proposé, soupira le patron. Il a dit qu'il allait réfléchir mais en attendant on ne s'éloigne pas et qu'on reste à sa disposition. Et il a ajouté : "Sinon, boum".

- On a vraiment mal choisi l'endroit, conclut Malfatu.

- Qu'est-ce qu'on peut faire ? demanda Prêtre en clignant ses grands yeux effrayés.

- J'ai une idée, petit! s'exclama Gonfanelli, avec tout le flegme de son accent corse. On attend la nuit et on se casse en loucedé. Demain quand il verra qu'on est plus là, il sera bien forcé de partir lui aussi, s'il veut pas être ridicule, hé.

- On n'est jamais ridicule avec une caisse de dynamite entre les mains, remarqua sententieucement Pollet.

- Ah, si ça avait été un claque... soupira Dutourd.

Le patron eut un drôle de geste convulsif et les envoya tous les deux aux avant-postes prendre des nouvelles. D'habitude si sémillant en opération, il avait l'air un peu fatigué. Mais là où il me parut au bord de craquer, ce fut au moment où, sans réfléchir, je suggérai d'appeler la police.

- Je veux dire, m'empressai-je de préciser devant la subite pâleur de son visage, la Brigade compétente, quoi, les spécialistes. Parce que, tout de même, pour nous, la partie est un peu serrée, vous croyez pas, chef ?

- Trop serrée, répéta Malfatu qui souffrait d'écholalie dès que les circonstances s'aggravaient. 

Notre chef se passa la main sur le front, appuya ses pouces sur ses paupières et dit d'une voix sourde :

- Messieurs, la situation se résume à ceci : nous avons un quart d'heure pour nous rendre maîtres du Gnocchi, avec tact et discrétion, de manière à faire croire aux bonnes soeurs, aux profs et aux pensionnaires que tout ceci n'était qu'un canular destiné à une émission de télé. Dans 15 minutes, il sera trop tard pour leur faire avaler tout ça. Alors, messieurs, nous devrons effectivement appeler des spécialistes, et vu le gratin coincé là-dedans, nous n'aurons pas trop de notre existence entière pour nous rappeler qu'avant de coincer un chacal enragé dans une caverne, il faut savoir ce qu'elle contient. Un quart d'heure, messieurs.

- Oh la la ! Un quart d'heure, c'est pas long! gémit Prêtre.

A cet instant, Dutourd revint d'un conciliabule avec le malfrat :

- Il dit que si tout le monde doit finir en bouillie, a utant qu'il en profite avant, et il s'est mis dans la tête de violer tout le pensionnat, en allant des plus vieilles aux plus jeunes, chef !

- Ca va être dur de faire croire à un canular, observa Pollet.

- Tout le pensionnat ? apprécia Gonfanelli avec un haussement de sourcils admiratif. Des types comme ça, dans le milieu, y en a plus beaucoup, petit. 

- Vous avez une proposition, Pollet ?

Ce dernier nous regarda avec une drôle d'expression, un éclair parcourant ses yeux fous :

- Oui, chef. On a ttaque, on tire sur tout ce qui bouge, on fait sauter le pensionnat, les filles, le Gnocchi et nous avec. Nul ne saura ce qui s'est passé et notre honneur sera intact !

- Mais qu'est-ce qui a bien pu l'attirer dans ce pensionnat ? dit le commissaire. Si on savait seulement ça...

- Seulement ça... dit Malfatu.

- Une fille cachée, peut-être, suggéra Prêtre. J'ai lu ça dans un roman : il paraît que ça arrive à des êtres frustres comme lui. Alors il l'aime par-dessus tout et rien n'est trop beau pour elle et...

- Il reste onze minutes, conclut Dutourd.

- Bon. Il n'y a qu'une solution, dit le chef. Pendant qu'il est occupé, l'un d'entre nous se glisse derrière et l'abat. Un volontaire.

Comme ses yeux s'étaient par mégarde posés sur Prêtre en prononçant le dernier mot, celui-ci s'évanouit.

- Je tire mal, patron, dit Gonfanelli, hé, vous savez bien. Envoyez Pollet, c'est le plus malin...

- Pollet, il est en pleine crise mystique !

C'était vrai, il était allongé les bras en croix et se donnait de grandes claques en invoquant la Vierge de je ne Sais Quoi. Et Dutourd et moi retenions Malfatu qui tentait de l'imiter.

- Bon j'ai compris. On y va tous ensemble, dit notre chef avec un accent de camaraderie affectueuse. Le premier qui refuse, je le descends.

Nous pénétrâmes dans le bâtiment par une porte dérobée, à la grande joie de quelques religieuses qui étaient parvenues à tromper la surveillance de leur bourreau. 

- Vite, il ne reste que sept minutes, dit le chef, alors que nous nous glissions le long d'un couloir. 

- Que sept minutes ? s'exclama une des bonnes soeurs. Merde, il faudrait pas que les parents nous voient ! 

Comme on ne comprenait pas bien, sa consoeur expliqua :

- Bon allez, assez rigolé, la volaille. Mains en l'air, dos au mur, dit-elle en sortant une mitraillette de sous son voile.

Au bout du couloir apparut le Gnocchi, entouré de la Mère supérieure et de quelques professeurs.

- On a baisé la maison Poulaga jusqu'au trognon, dit l'un des profs. 

- Notre souricière a parfaitement fonctionné, dit la Mère supérieure. La 18è brigade au grand complet! Il en manque pas un ! 

Le Gnocchi opina en silence. Nous étions effondrés, sauf Dutourd, qui murmurait l'air malin :

- Je savais bien, que c'était un claque...

- Bouge ton cul, grosse salope ! cria une des bonnes soeurs à Pollet, qui tomba à genoux aussitôt :

- Arrière blasphématrice ! Arrière, catin ! Arrière, apostats ! 

Profitant de la surprise, le chef se jeta sur une porte voisine en hurlant : "Par ici!"

- Ne tirez pas, les filles ! cria la Mère supérieure. Les élèves vont entendre ! De toute façon, ils sont coincés ! 

Le Gnocchi approuva, tandis que nous refermions la lourde porte sur nous. Nous étions réfugiés dans une bibliothèque.

Au centre, dans la bibliothèque, il y avait nous, le commissaire Naudel et ses hommes. Notre refuge était inexpugnable, nul ne pouvait y pénétrer, incidemment, nul ne pouvait en sortir non plus.

Autour, il y avait le Gnocchi et sa bande, qui continuait sa routine sans se soucier de nous : la nuit tous les trafics lucratifs, et le jour, les cours du pensionnat, ponctués par la cloche des offices. C'était parti pour durer longtemps. Mais si Dutourd continuait d'énerver le chef par ses réflexions stupides, ça pouvait se terminer mal, entre nous.

- La Tarentule, avait-il dit en feuilletant un gros bouquin.

- Qu'est-ce qui vous prend, Dutourd ?

- C'est un insecte qui fait semblant d'être coincé pour mieux attraper ses proies dans sa toile, chef. Ca me rappelle que c'est aussi un des surnoms d'Ibarrumi. Vous le saviez pas, chef ? 

Tiens, c'est vrai, on l'avait oublié, celui-là.

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