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histoires a suivre

le prince des illusions (42)

Publié le par HITOYUME

le prince des illusions
42
(tiré des mémoires de Robert Houdin)

RESUME : le grand prestidigitateur français Robert Houdin vient d'être appelé à donner une représentation devant le Souverain Pontife. Ayant réussi à se procurer une réplique exacte d'une montre appartenant à l'un des cardinaux, il procède devant l'auguste assemblée à la destruction complète de cette montre, en affirmant qu'il la reconstituera après coup par un procédé connu de lui seul...

Pour le coup, je crus que Monseigneur allait se trouver mal; il retenait avec peine l'expression de son mécontentement, assurément bien légitime. Le Pape alors se tourna vers lui :
- Comment, Eminence, fit-il en souriant, vous n'avez donc pas confiance dans notre sorcier ? Quant à moi, je ris de cela comme un enfant, persuadé qu'il y a eu une habile substitution.
- Votre Sainteté, veut-elle bien me permettre de lui faire observer, dis-je respectueusement, qu'il n'y a pas eu substitution ? J'en appelle du reste à son Eminence, qui voudra bien le reconnaître.
Et je présentai au cardinal les débris informes de sa montre.
Il les examina avec anxiété et, retrouvant ses armes gravées sur le fond de la boîte :
- C'est bien cela, dit-il en poussant un profond soupir, tout y est. mais, ajouta-t-il sèchement, je ne sais comment vous vous tirerez de là, Monsieur. en tout cas, vous eussiez dû faire ce tour inqualifiable sur un objet qu'il eût été possible de remplacer : sachez que mon chronomètre est unique.
- Eh bien, Eminence, je suis enchanté de cette circonstance, qui n'aura d'autre résultat que de donner plus de relief à mon expérience. Maintenant, si vous voulez bien m'y autoriser, je vais continuer l'opération.
- Mon Dieu, monsieur, vous ne m'avez pas consulté pour commencer votre oeuvre de destruction, agissez à votre guise, faites tout ce que vous voudrez.
On venait de m'apporter un mortier de fonte, muni d'un énorme pilon. Je le fais placer sur une table, j'y jette les débris du chronomètre et je me mets à les piler avec acharnement. Tout à coup, une légère détonation se fait entendre et du fond du vase sort une vive lueur qui, répandant une teinte rougeâtre sur l'assemblée, donne à cette scène toute l'apparence d'une véritable opération de magie. Pendant ce temps, penché sur le mortier, j'affecte d'y regarder et je me récrie sur les merveilles que j'y vois paraître.
Par respect pour le Pape, personne n'ose se lever. enfin le Pontife, cédant à la curiosité, s'approche de la table suivi d'une partie de l'assistance.
On a beau regarder dans le mortier, on n'y voit que du feu. c'est le mot !
- Je ne sais si je dois attribuer cela à l'éblouissement que j'éprouve, dit sa Sainteté en passant sa main sur ses yeux, je ne distingue rien.
Moi non plus, je ne distinguais rien ! Mais loin d'en convenir je prie le Pape de tourner autour de la table afin de chercher le côté le plus favorable pour apercevoir ce que j'annonce. Pendant cette évolution, je glisse dans la poche du Saint Père ma montre de réserve.
La suite de l'expérience coule de source; le chronomètre du cardinal est brisé, fondu et réduit en un petit lingot que je présente à l'assemblée.
- Maintenant, dis-je, sûr du résultat que j'allais obtenir, je vais rendre à ce lingot sa forme primitive, et cette transformation aura lieu dans le trajet qu'il va faire d'ici à la poche de la personne la moins susceptible d'être soupçonnée de compérage.
- Ah ! ah ! s'écria le Pape d'un ton de joyeuse humeur, voilà qui devient de plus en plus fort. Comment feriez-vous donc, Monsieur le sorcier, si je vous demandais que ce fût dans ma poche.
- Sa Sainteté n'a qu'à ordonner pour que je me conforme à ses désirs.
- Eh bien, Monsieur Houdin, qu'il en soit ainsi !
- Sa Sainteté sera immédiatement satisfaite !
Prenant alors le lingot au bout de mes doigts, je le montre à l'assemblée et je le fais subitement disparaître en prononçant le mot : passe !
Le Pape, avec tous les signes de la plus complète incrédulité porta vivement la main à sa poche. Je le vis bientôt rougir d'émotion et retirer la montre qu'il remit tout de suite au cardinal comme s'il eût craint de s'y brûler les doigts.
On crut d'abord à une mystification, car on ne pouvait croire à une réparation aussi immédiate. Lorsqu'on se fut assuré de la réalisation du prodige annoncé, je reçus le tribut d'éloge que méritait un tour aussi bien réussi.
Le lendemain, le Pape me fit remettre une riche tabatière ornée de diamants, en me remerciant de tout le plaisir que je lui avais procuré.
Cette séance eut un grand retentissement dans Rome et les représentations commencèrent avec plus de vogue que jamais. Peut-être avait-on l'espoir d'être témoin de fameux tour de la montre brisée, tel que je l'avais réservé au divertissement du Souverain Pontife.

A  SUIVRE

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