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oscar bosejour

Oscar Boséjour fait un plan de table

Publié le par HITOYUME

Oscar BOSEJOUR

 

La nourriture est un élément essentiel de l'alimentation depuis des temps immémoriaux. A la lumière des plus récentes découvertes, personne ne doute plus désormais qu'aussi bien l'homo erectus de Java que l'homme de Cro-Magnon mangeaient à chaque repas, tout comme Saint Louis, Gandhi, Buster Keaton, les Beatles (les quatre), Gault et Millault (les deux) et bien d'autres encore que plusieurs pages ne suffiraient pas à tous nommer. Mais si la popularité de la nourriture ne s'est jamais démentie avec le temps, elle ne peut pas à elle seule garantir le succès du meilleur des festins. Oscar Boséjour en a fait la cruelle expérience au début de l'année.
Béatrice, son épouse, avait décidé d'organiser un banquet avec de nombreuses connaissances à elle, pour leur présenter Oscar, auquel échut la tâche délicate d'établir le plan de table. Parmi les futurs invités on trouvait pêle-mêle un général à la retraite qui avait pratiqué la torture pendant la guerre d'Algérie accompagné de son épouse, une Hutu du Rwanda contremaître dans une usine de préservatifs; un couple d'homosexuels juifs dont un médecin exerçant dans une clinique favorable à l'avortement; une députée de droite qui avait milité activement contre le PACS et présidait l'association Foetus mon ami; un végétarien
catholique originaire de la République d'Irlande; un boucher anticlérical d'origine algérienne; un archevêque et son neveu; un Tutsi du Burundi, féroce critique musical, marié à une Palestinienne chanteuse d'opéra; une ex-chanteuse de variétés, citoyenne britannique protestante de l'Irlande du Nord, devenue à moitié folle après avoir reçu une Victoire de la musique en pleine gueule. La meilleure façon de disposer tout ce petit monde autour de la même table ne sautait pas aux yeux.
Oscar consulta un ouvrage de convenances et de bonnes manières, rédigé par une archiduchesse de fraîche date qui, par amour, avait courageusement abandonné la prostitution et rejoint le monde impitoyable de la noblesse. Cette brave femme, que son récent statut rendait experte en savoir-vivre, recommandait d'asseoir les convives en fonction de leur âge, les plus vieux devant être les plus proches des maîtres de maison. Une suggestion difficilement applicable, à moins de demander aux invités de présenter leurs papiers d'identité à l'entrée, dont l'inconvénient majeur était de ne pas résoudre tous les problèmes. Pour finir, après avoir essayé plusieurs méthodes, Oscar effectua un tirage au sort qui lui sembla satisfaisant.
Malheureusement, lorsque le soir  du repas  arriva, il constata qu'il avait effectué le plan de table en se fiant à une liste de participants incomplète. Sur celle dont il s'était servi ne figuraient pas des bipèdes, à l'exception de l'archevêque qui avait perdu une jambe dans la piscine de Lourdes. Il vint pourtant une chèvre et un loup (mais pas ensemble).

Comme ils avaient chacun un carton d'invitation à leur nom et que ceux-ci ne comportaient pas de mention du genre "les loups ne sont pas admis, merci de votre compréhension", "soirée interdite aux mammifères ruminants", il était difficile de les renvoyer. D'autant plus que c'est Béatrice elle-même qui avait convié ces deux animaux à sa table. Pourquoi ? Voilà bien l'un de ces mystères sans lesquels le charme féminin ne serait pas tout à fait ce qu'il est et la vie serait plus simple.
Oscar Boséjour n'a jamais su trop quoi dire aux bêtes, au point qu'enfant il se sentait mal à l'aise en présence du perroquet familial. Or, la sagesse populaire le dit bien : qui ne sait pas quoi dire à un perroquet, a peu de chance de soutenir une brillante conversation avec une chèvre ou un loup. Aussi mon ami ne voyait-il pas d'un très bon oeil la présence de ces deux quadrupèdes. Sans compter qu'il en a un des deux qui a une fâcheuse tendance à manger l'autre dès que vous avez tourné le dos. Vous n'ignorez pas comment cela se passe dans ce genre de soirée si l'un des convives en dévore un autre. Soit cela engendre une angoisse que vous n'arriverez pas à dissiper quels que soient vos efforts ("le loup a mangé la chèvre ? Ah ! Ah ! Toujours à se disputer ces deux-là ! Et arrêtez de hurler comme ça, espèce de folle !"), soit tout le monde se croit obligé d'en faire autant afin que vous ne vous sentiez pas gêné. Inutile de vous dire que si la moitié de vos invités bouffe l'autre moitié au milieu du repas, personne n'aura plus ni le coeur ni l'appétit de prendre du dessert et que vous serez bon pour vous taper du vacherin citronné avec un coulis de framboises pendant un bon bout de temps.

Bref ! Il apparut vite à Oscar que ce serait une erreur de placer le loup à côté de la chèvre. d'un autre côté, le moindre changement dans le plan de table qu'il avait minutieusement établi en laissant faire le hasard comportait des risques. Il n'aurait guère été raisonnable, par exemple, d'asseoir le neveu de l'archevêque entre les deux animaux, la conversation de ce chasseur réputé pouvant déplaire au loup. Il essaya mentalement plusieurs combinaisons. Aucune ne le satisfit entièrement. Par chance, une charmante jeune fille arrivée à l'improviste, une cousine éloignée de Béatrice à ce qu'il sembla à Oscar, avait sympathisé avec le loup durant l'apéritif, et accepta de prendre place entre les deux animaux. Oscar, soulagé, apporta la bonne nouvelle à Béatrice qui réglait quelques problèmes en cuisine.
"Quoi ! s'exclama-t-elle. Trouve vite une autre solution !".
Lorsqu'Oscar revint dans la salle à manger, les choses avaient un peu dégénéré, car la charmante jeune fille n'était pas une cousine de Béatrice, mais le petit Chaperon Rouge. 
Le couple s'est tapé pendant trois semaines du vacherin citronné avec son coulis de framboises.

 

A  LUNDI

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