le lion, le renard et le mulet
PAS SI BETE
Un mulet, s'ennuyant à la ville, alla dans le désert se mettre au service d'un lion, afin de vivre sous sa protection.
Il y était depuis quelques jours, lorsqu'un matin le lion dit au renard, habitant du terrier :
- Aujourd'hui je me sens en appétit et nous n'avons pas de gibier ; trouve-moi quelque aliment.
- Mangez ce mulet, fit le renard.
- Non pas, reprit le lion, ce serait une honte pour nous de trahir notre hôte.
Sans se déconcerter, le renard insinua :
- Je vais, seigneur, vous fournir un prétexte suffisant pour le dévorer.
Alors l'animal rusé se mit à dire :
- Il ne convient pas que les gens de naissance impure s'approchent de la personne des rois ; leur présence à la cour est d'un effet pernicieux pour les sujet.
- A qui s'adresse ce langage ? dit le maître. Moi je suis lion, fils de lion.
- Et moi, je suis renard, fils de renard, ajouta l'orateur.
Cependant le mulet gardait le silence.
- Allons, parle ! lui dit le renard.
Le mulet répondit :
"- Ma généalogie et mes titres sont écrits sur mon sabot.
En même temps, le mulet levait un pied pareil à un quartier de rocher, avec un fer garni de clous. A cet aspect, le sire du terrier fit quelques pas en arrière.
- Si j'approche mon museau de ce sabot formidable, pensa-t-il, la bête m'assènera une ruade dont je ne me relèverai pas, et il restait immobile.
Le lion le poussa et lui dit :
- Eh bien ! pourquoi n'avances-tu pas ? Dis- moi ce qui est écrit là.
- Excusez-moi, seigneur, fit le renard ; l'écriture est bien fine et les lettres trop embrouillées, je ne saurais la déchiffrer.
Cette réflexion ayant fait rire le lion, il lui dit :
- Tu l'as échappé belle, tu as failli être victime de tes beaux conseils.
Le mulet fut épargné.
A. CHERBONNEAU