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quelles vacances Oscar

Publié le par HITOYUME

Oscar BOSEJOUR

 

- Non, Monsieur, c'est trop cher pour moi.
Le jeune homme timide tourna vers Oscar Boséjour un visage navré.
"Allons, bon, encore une affaire ratée", pensa Oscar.
Depuis des mois, le commerce stagnait, et il voyait venir avec effroi le moment où il devrait faire face à de lourdes échéances fiscales. Il grimaça pourtant un sourire :
- Je n'ai rien pour le moment, Monsieur.
- Et cette MG rouge ?
- Oh ! celle-là a...
Oscar allait dire qu'elle avait un châssis fêlé et un train avant faussé par un grave accident, mais la vision d'un huissier brandissant des échéances traversa son cerveau. Il toussota et enchaîna :
- Elle a un bon moteur et des pneus presque neufs. Je n'y pensais pas. Je pourrais vous la laisser pour vingt mille...
Les yeux du jeune homme timide brillèrent de convoitise ! Vingt mille : exactement ce que sa mère lui offrait en récompense de sa brillante réussite à l'université...
L'affaire fut conclue, et le soir même, Oscar poussa un soupir de soulagement en voyant partir la malsaine voiture rouge.
- Ca alors, marmonna-t-il, voilà que je suis sauvé in extremis par ce rossignol !
Au repas du soir, Oscar fut particulièrement gai, ce qui étonna sa femme et son fils Jean, mais il ne parla pas de l'affaire providentielle qui bouchait le trou de son bilan.
- Ainsi donc, Jean, demain tu pars camper dans les Ardennes belges ? Tu as raison, il faut profiter de tes vacances. Tiens, mon gars, voici quelques euros pour garnir ton escarcelle !
Jean ouvrit des yeux comme des soucoupes et bégaya :
- Euh... Merci, papa... mais ça ne te prive pas ? Tes affaires ne vont pas bien et...
- Ta, ta, ta, t'occupe pas de ça et va en paix !
Oscar riait de bon coeur quand il rencontra le regard doux et admiratif de sa femme. Ce regard ! Un regard de mère heureuse ! Soudain, il sentit un frisson lui parcourir l'échine et le rire devint grimace...
- Je suis un peu fatigué. Excusez-moi, je vais prendre l'air.
Oscar sortit précipitamment.
Maintenant, il marchait comme un automate sous les arbres de l'avenue. Un tumulte de pensées et d'images lui vrillait les tempes. Il revit le regard de sa femme, de la mère de son fils Jean, et il imagina que la mère du jeune homme timide devait lui ressembler. La vision se brouilla et une autre apparut, impitoyable; un châssis de MG fêlé, une suspension voilée, un bras de direction grossièrement redressé au marteau...
Oscar marcha longtemps, et quand il rentra, sa décision était prise : le lendemain, il irait reprendre cette damnée voiture rouge. Tant pis pour les échéances de receveur des contributions !
Durant toute la matinée, Oscar discuta contrats avec le délégué d'une compagnie d'essence. Mais il était distrait. Une adresse hantait son cerveau : 23, rue des Ormes. C'est là qu'habitait, avec sa mère, le jeune homme timide. A midi, enfin, le délégué prit congé, et Oscar bondit dans sa vieille Citroën.
- Je ne viendrai pas déjeuner. Une affaire urgente... avait-il téléphoné à sa femme. Dis au petit qu'il parte sans m'attendre !
Fiévreusement, il déplia le plan de la ville et repéra la rue des Ormes. Il démarra comme un fou...
La maison du jeune homme timide était modeste mais coquette. Des filets jaunes garnissaient les fenêtres, et le balcon débordait de fleurs multicolores. La mère du jeune homme timide avait du goût... Oscar sonna. Une dame mince, encore jeune, vint ouvrir. Maintenant qu'il s'était jeté à l'eau, Oscar oubliait son anxiété, et c'est d'une voix très sûre qu'il sortit le "boniment" qu'il avait préparé. Oui, une affaire de mise au point, un carburateur défectueux.
- Madame votre fils est-il là ?
- Hélas, Monsieur, Robert est parti ce matin, avec un ami, pour Grenoble. Ils vont découvrir les Alpes. Voilà des années que Robert rêve de parcourir cette fameuse route Napoléon... Ce n'est pas grave, au moins, cette... mise au point ?
Oscar avala péniblement sa salive et répondit d'une voix blanche :
- Non, non, Madame. Soyez tranquille. Il y a longtemps qu'ils ont pris la route ?
- Oh ! à peine une heure. Vous savez, boucler des bagages, cela prend toujours plus de temps que l'on croit !
Rentré au garage, Oscar s'effondra sur le marchepied d'une vieille Ford. Trop tard ! Trop tard pour rattraper le destin. Trop tard pour retrouver son repos.
- Les Alpes, la route Napoléon, les lacets, les précipices... tout cela avec une voiture tordue. Je ne peux pas, non, je ne peux pas laisser faire cela ! Une heure d'avance... si j'essayais de les rattraper ? Foncer sur la nationale 7, foncer comme un dément, foncer pour barrer la route au malheur ?
Oscar sortit de la vitrine de son magasin sa plus belle pièce : une Triumph  presque neuve qu'il espérait vendre au médecin de son quartier. Il fit le plein d'essence et, sans prévenir personne, démarra vers le Sud...
Maintenant, le museau agressif de la petite Triumph fendait le vent, dont les lambeaux déchiquetés hurlaient aux oreilles d'Oscar. L'hallucinante sarabande des kilomètres se poursuivait depuis des heures, et l'aiguille du compteur oscillait toujours entre 160 et 170. La masse impressionnante des Alpes se profilait déjà sur l'horizon que le soleil du Midi faisait vibrer. Dans quelques minutes, Grenoble apparaîtrait au détour d'un virage...
- Et maintenant, que vais-je faire ?
Aussi longtemps qu'il roulait, comme un bolide, Oscar n'avait pas beaucoup réfléchi à la situation. La vitesse le grisait, et il avait l'impression de lutter contre la fatalité que lui-même avait déclenchée. Mais maintenant que la Triumph se faufilait dans le trafic de la ville et patientait stupidement devant les feux rouges, il comprit combien son entreprise était désespérée. Fouiller les hôtels ? Interroger les pompistes des innombrables stations-service ? Le soleil était déjà bas sur la montagne... Le jeune homme timide et son ami allaient-ils passer la nuit ici ou bien préféreront-ils attaquer la montagne tout de suite ? Une énorme lassitude s'abattit sur les épaules d'Oscar. Son courage, sa fiévreuse détermination, fondirent, et il eut soudain envie de dormir, d'oublier, de sombrer dans un gouffre sans rêves...
C'est alors que le miracle se produisit ! Un ronflement puissant jaillit dans le carrefour et frappa Oscar comme une gifle. La MG, la damnée MG rouge, passa devant lui comme un trait. Elle quittait la ville et se dirigeait vers Briançon. Frénétiquement, Oscar déboîta de la file où il patientait, se faufila avec une adresse inouïe et brûla froidement le feu rouge. La MG avait déjà disparu, mais il savait qu'elle ne pourrait lui échapper. Il aurait préféré mourir plutôt que de laisser échapper la chance que le destin lui donnait. Encore quelques kilomètres, et ce serait la montagne, ses lacets, ses descentes abruptes, ses ravins... Oscar revit le visage de la mère du jeune homme timide, le châssis fêlé, la direction faussée. Rageusement, il éperonna la Triumph !
La phase ultime de la lutte contre le malheur était maintenant engagée. La route grimpait, en serpentant, vers les sommets. La nuit se coulait déjà dans les vallées, repoussant la lumière rose et mauve du crépuscule. Oscar voyait, au flanc de la montagne, la MG rouge, mais des dizaines de virages le séparaient encore de la victoire. Des dizaines de virages entre lui et son repos ! Jamais il n'avait conduit comme cela... Un merveilleux instinct le guidait dans les lacets sournois de la route. La Triumph dérapait, hurlait sur les gravillons, mais à chaque coup, Oscar l'arrachait des griffes de la pesanteur pour la catapulter sur les traces de la MG rouge. Et soudain, au détour d'une paroi rocheuse, il la vit, à quelques mètres, encadrée dans son pare-brise. Un hurlement de joie jaillit de sa poitrine. Dans un bond fantastique, la Triumph dépassa la MG rouge et lui barra la route ! Oscar serra le frein à main et sortit de sa voiture. La MG s'immobilisa à son tour, et c'est à ce moment précis qu'Oscar devint livide...
Le passager de la MG rouge, l'ami du jeune homme timide, c'est Jean. Jean, son fils !


A LUNDI

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T
et bien voilà un drame évité pour une question d' argent et beaucoup de chance pour ce vendeur indélicat !<br /> à lundi
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