Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

maurice pagnon

le salutaire mal de mer

Publié le par HITOYUME

Maurice PAGNON

Maurice Pagnon fit la connaissance des sieurs Fraydon, Catermole et Elslander à Carlisle, dans un cabaret où l'ale était fameuse. Il avait décidé de prendre, dans la soirée, le train pour Dumfries où l'attirait le souvenir du poète Burns, mais jamais, au grand jamais, il n'avait songé faire une excursion en mer.
Maurice en confesse, sans honte, la très humaine raison : il souffre atrocement du mal de mer; le moindre coup de roulis lui soulève le coeur, la seule odeur de l'eau salée lui donne la nausée.
Fraydon, Catermole et Elslander étaient des compagnons charmants; ils lui payèrent à boire et lui offrirent les plus délicates spécialités culinaires de l'endroit : le saumon fumé, la truite en gelée, le soufflé au fromage d'Ecosse...
Minuit sonnait quelque part au fond des rues brumeuses, quand Elslander commanda le punch à l'arak.
Si vous faites cas de votre corps et de votre âme, ne buvez jamais de punch à l'arak !...
Quelques heures plus tard, Maurice se réveillai coiffé d'une casquette d'officier de marine, vêtu d'un sweater et d'un pantalon de toile, l'oeil fixé sur une lampe de cuivre rouge oscillant à la cardan, frémissant d'amble avec la trépidation d'un moteur.
- Bon Dieu, balbutia-t-il, on m'a enlevé, je suis en mer... je suis un homme perdu !
Le plancher couvert d'un tapis blanc de haute laine, prit de l'angle et s'inclina comme pour lui donner raison>.
Pouah... Ces relents de poisson fumé, d'oeufs brouillés, d'ale et d'arak flambé qui lui montaient aux lèvres ! Maurice poussa un cri de dégoût et de souffrance.
Une cave à liqueurs était à la portée de sa main, il avala des choses brûlantes et poisseuses qui ne lui firent aucun bien.
Puis tout se brouilla bientôt devant ses yeux et dans sa mémoire. Comme dans un brouillard, des bruits de voix lui parvinrent.
- Il fera fort bien l'affaire, dit quelqu'un.
- Forcément, conclut un autre, c'est Pincroft tout craché !...
Après quoi, Maurice perdit connaissance.
---------------------------------
Quand Maurice sortit de sa torpeur, il poussa un exclamation d'aise : il n'était plus en mer, mais sur la bonne vieille terre ferme. Toutefois, la féerie de la veille avait disparu : au lieu du délicieux salon marin, il était installé dans une affreuse bicoque, sentant le poisson et le varech.
Dans l'ouverture de la porte se tenaient ses compagnons de fête, mais ils ne prêtaient aucune attention à sa personne.
- Hé, Polecat ! cria Elslander.
Un homme à la mine de putois les rejoignit.
- Le voilà, dit Fraydon en montrant Maurice du doigt.
Polecat leur remit des billets de banque, une assez épaisse liasse, et ils partirent sans ajouter un mot.
- Eh, dites-donc, vous, s'écria Maurice avec une soudaine colère, que signifient ces menottes que je porte aux poignets ?
- Comme si le sieur Pincroft méritait mieux ! ricana Polecat.
Une heure plus tard, une demi-douzaine de bonshommes aux visages durs et menaçants, entrèrent dans la bicoque et se mirent à injurier copieusement Maurice.
----------------------------------
- Ne nous racontez donc pas de blagues, capitaine Pincroft ! Comment dites-vous ? Catermole, Fraydon, Elslander ?... Non, ces noms ne nous disent rien ! D'ailleurs, on sait que vous êtes un habile menteur. A preuve, la manière dont vous vous êtes défendu devant les Assises de Glasgow !... Sept hommes de notre île, et les meilleurs, ont trouvé la mort dans le naufrage de votre damné bateau, ce naufrage que vous avez vous-même provoqué !... Ah, nous avons payé bien cher votre capture, et toute la population de l'île devra travailler pendant des années avant d'en rattraper le prix. Mais, peu importe, la justice et la vengeance valent mieux que tout l'argent du monde ! Car nous allons vous juger, Pincroft !...
----------------------------------
Maurice passa en jugement devant une assemblée d'une douzaine de marins dont Polecat.
Ce dernier jura sur la Bible que Maurice était bien David Pincroft, capitaine du cargo "Ross" perdu corps et biens au large de Wrath, par sa seule faute; et huit juges reconnurent Maurice.
- Il ne parvient même pas à cacher son maudit accent ! cria l'un d'eux.
Maurice, leur dit qu'il était Français et qu'il ne se nommait pas Pincroft, ni David, mais Maurice Pagnon !
- Maurice ? Vous ne pourriez pas trouvez mieux, coquin de pirate ?
La séance se prolongeait. On l'assomma d'une foule de termes de marine et de détails techniques.
A la fin, ses juges de fortune condamnèrent Maurice à "rester pendu par le cou jusqu'à ce que mort s'ensuive".
- Certainement dit-il. Vous semblez avoir fort bien connu David Pincroft ?
- Très bien !
- Pincroft était un marin, un bon marin ?
- Un pareil homme, pourrait-il, par temps calme, souffrir du mal de mer ?
Un formidable éclat de rire accueillit la question de Maurice.
- Même si son bateau avait navigué la pointe de ses mâts dans l'eau, il n'en aurait pas éprouvé le moindre malaise !
- Alors, qu'on me fasse faire une petite promenade en mer ! On m'accordera cela comme une "dernière faveur" due à un condamné à mort.
Maurice fut installé sur le pont d'un petit "dundee" qui s'élança, toute voiles dehors, sur les vagues.
Quelques minutes plus tard, le coeur chaviré, Maurice se tordait dans les affres du plus hideux mal de mer.
- Par se Seigneur ! murmurèrent ses futurs bourreaux, s'il y a une chose au monde qu'on ne peut singer, c'est bien cela !
Et le doute s'installa dans leur coeur fruste. Quelques heures plus tard, après douze coups de fouet, administrés de main de maître, Polecat avoua son triste subterfuge.
On ne sait ce qu'il advint de lui, mais Maurice ne l'a plus revu, non plus que ses trois complices.
--------------------------------
Depuis lors, tous les ans, Maurice paie courageusement son dur tribut à Neptune pour se rendre dans l'île et y passer ses vacances. On le traite comme un prince et il retourne dans sa France natale, traînant bourriches remplies à craquer de saumon et d'haddocks fumés et de crevettes grises au gros sel...
Mais, tout de même, quand il repense à cette aventure, il ne peut réprimer un frisson de peur !

A  LUNDI

Voir les commentaires

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 20 30 > >>