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maurice pagnon

à qui la faute ?

Publié le par HITOYUME

Maurice PAGNON

Maurice Pagnon avait devant lui la copie du lauréat au concours de l'Ecole Normale Supérieure. Première sur 2156 candidats. Elle était rédigée ainsi :
(en imprimé) "Concours de l'Ecole Normale Supérieure. Epreuve de philosophie".
Sujet : "La guerre est-elle significative du comportement humain ?".
Suivait le texte du candidat :
"Il fot pa fère la gairre parsse que cé pa bo".
Maurice reposa la copie sur la table et passa dans le bureau du Recteur d'Académie.
- Dites, vous avez vu la copie du lauréat de Normale Sup' lui dit-il en entrant.
Il baissa la tête d'un air accablé.
- Oui, dit-il. Le niveau des élèves a baissé, hein ?
- Vous voulez dire qu'il s'agit d'un gosse de dix ans que ses parents ont fait concourir pour faire parler de lui dans les journaux, comme d'habitude ? Pour dix ans, cet orthographe est consternant. Mais en ce qui concerne l'erreur d'attribution ?
Il considéra Maurice, sincèrement attristé.
- Mon cher monsieur, vous vous trompez. Ce lauréat à trente-deux ans et c'est réellement la meilleure copie de cette année.
- Alors, j'aimerais bien voir les autres, dit Maurice goguenard.
- Pas difficile, répondit-il en jetant un paquet de feuilles sur la table.
Maurice en prit quelques-unes au hasard. Toutes répondaient au même sujet. Celle classée 8ème était rédigée ainsi : "non".
La 15ème : "Sasse é bien vré".
La 23ème : "Jeuneu sé pa".
La 112ème : "Je".
Maurice était perplexe.
- C'est incontestable, dit-il. Le niveau des étudiants a beaucoup baissé. Dites, j'aimerais bien le rencontrer, ce lauréat.
- Rien de plus facile, répondit-il.
Le lauréat en question avait une allure impressionnante. Un visage ouvert et sympathique, de petites lunettes cerclées d'acier. Lorsque Maurice le retrouva dans la chambre de l'école, il déchiffrait avec son doigt un livre d'Enid Blyton : "Le club des cinq en vacances".
- Vous êtes journaliste ? dit-il souriant. Vous n'êtes pas le premier que je reçois.
Maurice le dévisagea avec curiosité. Il souriait toujours.
- Vous avez lu ma copie ? Vous savez qu'elle va être publiée dans le Monde ? Chaque année, ils publient la copie du lauréat. Je suis très heureux.
- Je n'en doute pas, répondit Maurice. Toutes mes fémicitations, jeune homme. Mais dites-moi, vous pensez vraiment ce que vous avez écrit ?
Son visage marqua aussitôt une vive inquiétude.
- Vous n'êtes pas d'accord avec mon opinion ? demanda-t-il.
- C'est pas vraiment ça, répondit Maurice embarrassé. C'est plutôt que j'ai pas très bien compris la deuxième partie.
- Je peux vous l'expliquer rapidement, proposa-t-il.
- Oui, j'aimerais bien. Vous savez, c'est un peu calé pour moi.
- Je vais aller lentement alors.
Il sortit une photocopie de son devoir.
- Voyons, dit-il. Vous n'avez pas compris à partir de "parce que c'est pas beau", je parie.
- Oui, c'est exactement ça, répondit Maurice en le considérant, les yeux un peu écarquillés.
- C'est simple, continua-t-il. A la guerre, y a des gens qui meurent et ça fait des malheureux. Alors, pour ça, c'est pas beau.
- Lumineux. Mais dites-moi, trente-deux ans, c'est pas un peu tard pour un tel examen, non ?
- C'est qu'il y a de longues études, expliqua-t-il en hochant la tête. Et puis, j'ai passé le concours de Polytechnique en même temps.
- Vous avez été reçu ?
- Deuxième seulement parce que j'avais fait des ratures.
Il exhiba une autre photocopie.
- Vous gardez tous vos devoirs d'examen ?
- Oui, c'est pour montrer à mes enfants, plus tard.
Maurice lut le sujet : Haute technologie appliquée. Explicitez la formule générale de la déformation moléculaire en haute pression au zéro absolu. Et en dessous : "3+2=13465".
- C'était la réponse ?
- Ouah, non, hé, dit-il en haussant les épaules. J'ai pas réussi à lire le sujet jusqu'au bout. Alors j'ai écrit la leçon de 5ème année.
- C'est possible de rencontrer vos professeurs ?
- Si vous voulez. Ils sont très fiers de moi. Un peu de ma gloire rejaillit sur eux.
Maurice prit congé.
- Oh, excusez-moi, j'allais oublier de vous accompagner ! Nous, les grosses têtes, on est un peu distrait.
Le professeur reçut Maurice derrière son bureau.
- On fait ce qu'on peut, dit-il. Vous n'imaginez pas leur niveau lorsqu'ils sortent de faculté. Ils font plus de fautes dans un mot qu'il n'y a de lettres ! Alors, il faut reprendre tout au départ. Dictées, dictées. Je ne sais pas ce qu'on leur apprend, en fac !
Alors, Maurice ait allé voir.
- Ah la la, ils peuvent critiquer, ceux de normale sup', dit le maître assistant. Mais ils les voient pas quand ils sortent du lycée ! Ils savent à peine compter sur leurs doigts ! On pratique l'enseignement supérieur avec des bûchettes, mon cher monsieur ! C'est consternant, mais que voulez-vous y faire ?
Alors, ait allé dans un lycée.
- Mais que peut-on faire de mieux ? s'exclama le proviseur. L'orsqu'ils sortent de l'école primaire, ils savent à peine tenir une fourchette. vous vous rendez compte ? Faut d'abord leur apprendre à manger. Alors, vous savez les études secondaires... Tenez, voici le dernier sujet du bac lettres : "Ecrivez deux lignes de "a" et deux ligbes de "b". C'était trop difficile ! 75% de recalés.
- Mais qui est responsable ? Les parents ? La télé ? L'informatique ?
- Je ne sais pas, monsieur, mais une chose est sûre : le niveau des élèves a beaucoup baissé. Croyez-moi, beaucoup !
L'instituteur que Maurice rentra leva les bras au ciel.
- Mais monsieur, nous abattons un travail de titan ! Quand ils sortent de la primaire, ils savent au moins demander pour aller aux toilettes !
- Ah, parce que quand ils arrivent en primaire...
- Oui monsieur ! Ils ne savent même pas parler, leur niveau est déplorable, il faut tout faire. Alors l'orthographe peut attendre ! Je me demande ce qu'ils foutent, en maternelle !
- Mon pauvre monsieur, se lamenta la directrice de l'école maternelle que Maurice rencontra, comment pourrions-nous trouver le temps de leur apprendre à parler quand ils ne savent même pas tenir sur leurs deux jambes ? Lorsqu'ils sortent d'ici, nous nous estimons heureux qu'ils puissent marcher jusqu'à la grande école !
- Mais qui est responsable, alors ?
- Les parents, monsieur ! Ne cherchez pas plus loin. Ils démissionnent et nous envoient des enfants dont le niveau est catastrophique ! Nous faisons des miracles, croyez-moi.
Pour voir du côté des parents, Maurice alla rendre visite à la mère d'un enfant en bas âge. A première vue, son bébé de quatre mois était parfaitement constitué. Un mignon bambin souriant.
- Vous n'imaginez pas le temps que nous passons pour leur apprendre à respirer !
- A respirer ? Mais...
- Parfaitement, monsieur ! Quand ils naissent, ils ne savent pas respirer. Leur niveau est effroyable !
Maurice se rendit alors dans une maternité. Effectivement, il constata enfin de ses yeux qu'un nouveau-né sortant du ventre de sa mère ne savait pas respirer.
Maurice rentra au journal, rayonnant de la satisfaction du travail accompli.
- Salut, Coco, dit-il au rédac'chef. Prépare la une, j'ai fait une enquête dont tu me diras des nouvelles ! Je n'ai pas négligé un seul aspect du problème.
Maurice se jeta au travail sur l'heure. Il s'assit devant sa feuille et réfléchit d'abord pendant une heure sur la tournure. Puis il tailla un crayon et se lança. En moins d'une heure son article sensationnel était bouclé :
"Dan laise école le nivo a baucou bécé".

A  LUNDI

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