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maurice pagnon

le téléphone

Publié le par HITOYUME

Maurice PAGNON


 
Maurice Pagnon avait roulé presque toute la nuit au milieu des phares, des néons, des lampadaires et des enseignes grillant le trop noir de cette nuit. Toutes ces lumières ; il les sentait encore qui glissaient sur sa rétine même après s’être éloigné de leur aura. Il avait la tête renversée comme après avoir passé des heures enfermé dans un foutu kaléidoscope.
Le mal de crâne du siècle.
Son corps tout entier réclamait de fondre sur l’instant dans un lit onctueux, profond comme un océan.
Il s’était arrêté dans un endroit sordide et avait lâché quelques billets à la réceptionniste en échange d’une nuit dans une chambre au moins aussi dégueulasse que sa caisse.
En somme, il avait quitté un taudis pour un autre.
Le taudis en question faisait un petit treize mètre carré. L’espace était occupé par un grand lit et une table de chevet revêche sur laquelle était posé un vieux téléphone, le tout recouvert par un bon centimètre de poussière grisâtre. D’un coup d’œil furtif, Maurice avait balayé l’aménagement spartiate de la chambre sans y accorder plus d’attention que cela. Le téléphone, il avait cette roulette-là, comme un barillet au milieu, où on a l’impression de charger un revolver ou remonter un jouet à chaque fois qu’on veut composer un numéro. Il se souvient, que ses parents en avaient un.
Il observa ses courbes onctueuses et son rouge vif se détacher du reste du bouge infâme qui lui servait de chambre à coucher.
Ce rouge flottait indolemment au milieu des ténèbres pareilles aux sirènes, affublé d’une beauté insondable. Son silence était comme un chant, séduisant.
Par curiosité, Maurice décida de décrocher religieusement le combiné de son socle pour l’amener à son oreille. Et sa bouche allait vers lui sans souffler mot. Son cœur s’était arrêté. Aucune tonalité. Ce truc devait être mort depuis le temps.
Pourtant, par amour du jeu, il introduisit délicatement le bout de son index dans le trou à la base du cercle. Une exhalaison s’essora sur l’écoute supérieure du combiné avant d’embrasser son oreille en plusieurs endroits. Son lobe fut parcouru d’un frisson qui roula jusqu’à sa conque et pénétra ses tympans en se faisant le messager d’un simple « allô ? ».
Le céleste de l’instant embauma son cerveau d’un délicieux nuage statufiant tout son être. A la fois transi de peur et fondant d’excitation.
Ses lèvres se dessoudaient peu à peu afin de répondre « allô ? » avec hésitation.
La porte s’ouvrit subitement et son cœur bondit presque aussi subitement.
La réceptionniste.
— S’cusez-moi m’sieur mais dans vot’ hâte, vous avez laissé vos clefs de voiture sur le comptoir m’sieur.
Elle posa ses yeux vitreux sur la main droite de Maurice encore fermement attachée au téléphone rouge.
— Ça sert à rien vous savez, ce truc-là marche plus depuis belle lurette.
— Pourtant..., se contenta-t-il de rétorquer avant de se censurer lui-même.
Sans lui renvoyer la politesse, il s’empara des clefs qui pendaient nonchalamment au bout de ces doigts boudinés et la poussai dehors.
Maurice contempla le téléphone muet et inerte luire à la faveur de la nuit. Il brillait pareil aux plus beaux bijoux. Il s’en rapprocha comme un animal craintif. Il allait et venait comme la marée. Projetant ses doigts hésitants avant de les ramener aussi tôt tout contre ses lèvres.
Il admira avec une passion dévorante sa peau lisse carmin sur laquelle nageaient délicatement des raies de lumières. Soudain il l’empoigna comme on empoigne le frêle poignet d’une femme pour la retenir. Il le serra avec détermination et douceur comme pour se rassurer de ne pas sombrer dans la folie sans pour autant expier l’idée qu’on puisse l’avoir parlé. Comme si... comme s'il ne voulait pas offusquer son interlocutrice.
Maurice l’avait entendue.
Cette voix unique.
Cette voix investie par la grâce d’un ange. Elle avait ce velouté candide succulent dont ses tympans raffolent tant. Elle était de ces voix étranges. Androgynes. De celles qui fascinent.
Sa bouche alla s’écraser onctueusement contre le plastique rouge soigneusement perforé du microphone. A mesure qu'il s’étalait contre le combiné, il avait l’impression d’effleurer ses lèvres.
Maurice prit le temps de déglutir sa bêtise avant de vouloir ajouter quelque chose quand soudain son oreille perçut un souffle à l’autre bout du combiné.
— Attendez ! intima-t-il par réflexe. Attendez, ajouta-il en soupirant de désespoir. Je mourrai si jamais vous me laissiez seul.
Silence.
Il s'arrêta de respirer, suspendu à l’instant comme si sa vie en dépendait. Il la sentait. Aussi étrange que cela puisse paraître, il sentait sa présence à l’autre bout du fil comme si elle habitait ce téléphone. Impatient, ses doigts s'entortillaient autour du fil comme on joue dans les cheveux d’une femme. A mesure que le fil grossissait autour de son doigt, l’excitation montait en lui.
Encore.
Répondez-moi ! pensa-t-il.
— S’il vous plaît, supplia-t-il dans un murmure.
Ses cheveux s’enroulaient sur son index comme un serpent. Il les amena sans qu’ils ne finissent jamais. Attentif au moindre signe, au moindre son mais rien ne venait à son oreille. S’y colla toujours plus, le fil s’embobinait toujours plus. Son corps s’était contracté tout entier, ses muscles asphyxiaient sous sa peau tendue quand soudain son doigt ne trouva plus aucune résistance. Il constata avec effroi que le fil du téléphone était coupé.
Il pendait dans le vide, comme un pendu au bout d’une corde.
Son corps abattu se relâcha et s’affaissa de toute sa masse contre le mur. Son bras se fit mou et le combiné se décolla de son oreille, prêt à retrouver son socle, quand il entendit « Allô ? ».

A  LUNDI

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