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c'est comme j'vous l'dis

le déni

Publié le par HITOYUME

Le formidable succès du film « Don’t Look Up » sur Netflix est dû au fait qu’il nous agite devant le nez l’immense paradoxe dans lequel nous vivons tous, nous, enfants du capitalisme débridé. Résumé rapide pour ceusses qui ne l’ont pas vu : deux scientifiques découvrent qu’une météorite tueuse de planète se dirige droit sur la terre. Ils essayent d’alerter, mais se retrouvent confrontés à l’absurdité du monde médiatico-politique, dont ils deviendront le jouet et les victimes, utilisés par les uns, moqués par les autres, dans un capharnaüm médiatique désincarnant complètement le fond au profit de la forme.
Le parallèle avec la crise environnementale actuelle est évident, et le film, critique et acerbe, pointe la dichotomie d’une société ultraconsumériste, assistant à sa propre autodestruction mais incapable de sortir de ses paradigmes, même si ceux-ci la mènent directement à l’extinction. Tout le monde est aujourd’hui conscient des limites du capitalisme, à priori. Même à la télé, ils en parlent sans cesse, du changement climatique, du plastique omniprésent, de la pollution dramatique des airs et des sols, de la disparition des animaux. Entre deux spots de pub et des résultats sportifs, on vous cause comme ça du dernier rapport du GIEC qui annonce un futur cataclysmique, avant de passer sur un reportage sur le marché de noël de Plouzignac-les-Oies ou sur un micro-trottoir à propos de la sortie du dernier Iphone… Et, oui, on vit dans le déni. Tous (Tous, Christine, tous !). Chacun fait son chemin et est à des degrés différents de prise de conscience, c’est certain, mais surtout : qu’est-ce qu’on peut vraiment y faire, nous, citoyens, consommateurs ? Comment pourrions-nous arrêter le train qui fonce à toute berzingue vers le ravin alors qu’on est dans les derniers wagons ?
Oh bien sûr, les plus acharnés d’entre nous font ce qu’ils peuvent. Acheter local, le moins emballé possible. Eviter les grandes surfaces, quand on le peut, au profit des petits marchés, fabriquer ses cosmétiques et produits d’entretien, acheter du seconde main, faire son potager, devenir végétarien. C’est super hein, et si tout le monde faisait comme ça, sûr que les choses seraient différentes ! Sûr, vraiment ?
En réalité on se sent tous complètement impuissants face au bordel que le monde capitaliste a foutu, et on le sait bien, au fond de nous, que c’est pas en fabriquant sa lessive pour pas acheter de bidon en plastique qu’on sauvera le monde. Si on fait tous ces efforts, c’est surtout, soyons lucides, pour se déculpabiliser et pour tenter de vivre à peu près en accord avec nos priorités, ce qui est plus confortable, mentalement, que de faire comme si de rien n’était.
Et c’est pas qu’une impression. C’est une réalité : si chaque humain sur cette terre se mettait du jour au lendemain à vivre dans une sobriété absolue (ce qui est déjà totalement irréaliste !), cela ne diminuerait que de 25% les émissions mondiales de CO2 et on resterait encore très loin des objectifs des COP. Le problème n’est pas individuel, il est systémique. Tant qu’on vivra dans une économie financiarisée, gérée par des millions de sociétés privées motivées par le profit de leurs actionnaires, tant que des boites tentaculaires auront plus d’assise économique que des Etats, toute amélioration de la situation ne sera qu’utopie. Tant qu’une poignée de personnes détiendront la moitié de la richesse de l’humanité, rien ne pourra changer. On le sait, ça nous dépasse tous, ça dépasse nos petites personnes, mais ça dépasse aussi les frontières, et même nos imaginations : « il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme », disait le philosophe Slovène Slavoj Zizek (avec des zigouigouis sur les Z mais je sais pas comment on les fait). Ben, oui, il a raison, et c’est terrifiant !
Alors, devant la totale inutilité de nos petits efforts quotidiens, on n’a d’autre choix que de se réfugier dans un égoïsme protecteur. Ceux et celles qui ont conscience de tout ça et qui le peuvent font leur retour à la terre, les plus forcenés font des formations de survivalisme, à la recherche d’une potentielle autonomie les séparant du reste des humains en espérant ne pas être entraîné trop loin dans leur chute… Les autres continuent leur vie, consomment, comme ils l’ont toujours fait, comme la société le leur serine à longueur de journée, installés dans un déni qui leur permet, sans doute, de ne pas devenir fous ou désespérés.
Oui, pour que les choses changent réellement, il faudrait renverser un système qui est si solidement arrimé qu’il semble impossible à déboulonner. Il faudrait une véritable mutualisation des biens communs, surtout ceux de première nécessité, il faudrait sortir de la logique de profit personnel, limiter la capitalisation. Pour sortir des énergies carbonées, il faudrait modifier complètement notre manière de vivre : bosser moins, circuler moins, relocaliser la vie rurale, l’entraide, le troc, la consommation locale. Et surtout, il faudrait museler les publicitaires, ces parasites qui modèlent les esprits dès le plus jeune âge et qui nous dictent, depuis des générations et des générations, notre (mauvaise) manière de consommer. Le marketing est pour moi à la base du problème, et la multiplication des avertissements et incitations à la sobriété qui iraient dans le sens d’une meilleure exploitation de nos ressources vient directement se fracasser contre ses fondements. Et c’est comme ça qu’on se retrouve à écouter des publicités pour des SUV au milieu d’une émission consacrée à l’effondrement écologique à la radio, cristallisant ainsi tout le paradoxe de notre époque…
Ouais, on n’a pas le cul sorti des ronces, et ceci est mon premier édito de l’année 2022, je l’aurais voulu moins déprimant mais que voulez-vous hein !

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