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les histoires d'hitoyume

flagrant délit

Publié le par HITOYUME

- Sir, dit James, le jardinier en chef, je répugne à l'accuser puisque je ne l'ai pas pris sur le fait, mais ce ne peut être que Tom.
- Tom, le jeune apprenti jardinier ?
- Oui, monsieur. Le public n'a pas accès à cette partie du jardin pour le moment. Et c'est Tom qui est chargé de nourrir les poissons chinois que nous avons mis dans le bassin pour la reproduction.
- Tom, c'est bien le petit blond avec des tâches de rousseur ? Celui qui vient de Bayfield ?
- Exactement monsieur.
Le directeur des Kensington Gardens se souvenait bien de Tom. Il revit sa mine épanouie, son air ouvert, honnête et appliqué de jardinier heureux de son état. Il était triste de penser que ce jeune garçon s'était laisser aller à une action basse, même sans gravité.
- Ecoutez, James, il ne se sera rendu compte de la valeur de ces poissons, dit le directeur. Il les aura assimilés à des poissons rouges ordinaires et n'aura cru commettre qu'un léger larcin.
- N'importe, sir. Il n'aurait pas dû.
- Bien sûr. Il se sera laisser tenter par la beauté de ces voiles de Chine. lui en avez-vous parlé ?
- Oui, monsieur. Il prétend qu'il ne sait rien. et pourtant, ce ne peut être que lui.
- N'insitez plus, James. Il n'ose sans doute avouer sa faute qu'il doit regretter amèrement. Il ne recommencera plus. Et en somme, on n'a pas de preuves.
- Non, sir,, mais qui serait-ce ?
C'était juste. Le jardinier se retira, le directeur soupira. Lui qui se croyait physionomiste !... Lui qui aurait juré... Enfin. Une faiblesse passagère, dont le coupable se désolait et qu'il s'efforçait de cacher.
Le directeur croyait cette affaire classée, quand le lendemain, il vit arriver dans son bureau James tout indigné.
- Sir, il a recommencé. Il en a pris trois.
- C'est inimaginable.
- Je lui ai demandé s'il devenait fou. Il nie toujours, et avec un aplomb !... Faudrait l'entendre.
- Prevenez-le que s'il recommence, nous le congédierons. Et surveillez-le. Essayez de le prendre sur le fait, pour le cas où l'envie le prendrait de recommencer. Plus rien ne m'étonne.
- Moi, non plus, sir, dit James.
Or, le fait se reproduisit. tom comparut cette fois dans le bureau du directeur et nia de plus belle.
- Enfin, Tom, il en restait dix-sept le matin. Vous seul êtes allé soigner les voiles de Chine. Il n'en reste plus que treize. Alors ? Allons, avouez et ne recommencez plus, je passerai l'éponge.
- Mais, sir, ce n'est pas moi.
Cette manière ridicule de nier l'évidence hérissa le directeur. Tom fut mis à la porte.
Le lendemain, il fut surpris dans le jardin après la fermeture des grilles, non loin du bassin des poissons !...
On amena le délinquant au directeur.
- Mais vous avez le diable au corps, mon garçon !... Décidément, vous en voulez à ces voiles de Chine. Mais quand vous aurez pris ceux qui restent, en serez-vous beaucoup plus avancé ? D'autant plus qu'il me sera impossible de vous donner un certificat de bonne conduite pour vous présenter dans une autre place. soyez un peu plus raisonnable, sapristi !...
- Mais, monsieur, vous ne pouvez pas m'accuser. vous n'avez pas de preuves.
- Que faisiez-vous là, après la fermeture des grilles ?
- Je voulais surprendre le voleur.
- Oui, vraiment ! Et vous ne l'avez pas surpris ? Pourtant, il manque encore deux poissons.
- Il en manque deux !... Mais il n'y a que James qui se soit approché du bassin !
- Petit misérable, qu'insinuez-vous ? Que voulez-vous que James fasse de ces poissons ? Le croyez-vous assez fou pour risquer sa place pour un si piètre butin, après une vie d'honnêteté ?
- Mais, monsieur, je n'ai pas dit cela. Au contraire, je...
- Oui, vous essayez de vous rétracter, parce que vous voyez que vos ruses grossières ne prennent pas. Allons, sortez, et qu'on ne vous voie plus rôder par ici ou je préviens la police.
Le jour suivant, les onze poissons restants ne manquèrent pas à l'appel. Le coupable était donc bien Tom !... Mais le surlendemain, de nouveau, disparition de trois poissons !... C'était trop fort. James était hors de lui.
- Monsieur, il se moque de nous. Il faut qu'on le prenne en flagrant délit. Si vous permettez, je passerai la nuit dans la serre.
- Ecoutez, James, jusqu'à présent, les poissons n'ont jamais disparu la nuit. Tom ne peut sans doute sortir de chez lui alors. Mais venez de bon matin. Prenez vos provisions et installez-vous dans la serre la plus proche du bassin, derrière un paillis. Tenez, voilà des jumelles. Il ne faut pas qu'il ait un doute. Je vous dispense de travail pour demain.
Le moment venu, James se mit donc en observation dans la serre et prit son thé matinal qu'il avait emporté dans un thermos, sans oeufs ni bacon. La bonne odeur de lard grillé lui manquait furieusement pour bien commencer sa journée.
- Enfin, je vais me reposer, ça me fera du bien, pensa-t-il.
Mais c'était bien ennuyeux, ce repos avant la fatigue !... Après, à la bonne heure. Mais maintenant !... Et les boutures de géranium qui attendaient d'être rempotées ! Toutes prêtes, bien ressuyées. Elles semblaient dire : "Eh, bien ! James, quelle nouvelle ? Tu nous oublies ? Tu nous abandonnes ? tu ne vois pas que nous nous languissons ? Nous dépérissons. Nous nous flétrissons. Nous mourrons de soif. James, de grâce !...".
Impassible, inexorable, James bouillonnait intérieurement.
- Que ce sacré gosse vienne vite, nom de nom, sans quoi elles vont toutes crever. Si ce n'est pas malheureux. Et toujours personne. Un oiseau, oui. Mais pas plus de Tom que sur ma main.
Enfin, c'était toujours plus intéressant de regarder un oiseau que rien du tout. Surtout cet oiseau au long bec, emmanché d'un long cou. James prit les jumelles, vit l'oiseau se promener au bord de la vasque.
- Il vient boire, pensa James.
Et en effet. L'oiseau se pencha brusquement vers l'onde... et dans un éclair, James vit luire une tache rose dans son bec, un vaporeux voile d'argent briller dans la lumière avant d'être englouti par une gorge avide. Etait-ce une hallucination ? Mais non. Le héron se penchait, ramenait une autre victime avec une prise moins ferme et qui frétillait piquée tout au bout du bec, mais qui suivit bientôt la même pente irrésistible et fatale.
Ainsi donc, c'était un héron !... James perdit son flegme, courut à la maison du directeur pour lui annoncer la grande nouvelle.
- Un héron, sir !... Le voleur était un héron !...
- Un héron !... Ah ! James, vous m'enlevez un poids du coeur !... Savez-vous où habite Tom ? Nous y allons tout de suite.
- Que faites-vous, dear ? s'écria la femme du directeur. Votre porridge sera tout froid et le thé aussi.
- Chère amie, mon porridge refroidi me semblera mille fois meilleur quand j'aurai vu Tom manger le sien de bon coeur. Je savais bien, moi, que cet enfant ne pouvait être coupable ! Je suis physionomiste !...

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