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le sac d'or

Publié le par HITOYUME

La poursuite du grand mouflon "big horn", le magnifique bélier sauvage des Montagnes Rocheuses, avait entraîné si loin et si haut le Virginien que le soir le surprit en pleine solitude au milieu d'un chaos de rochers et de précipices où il était périlleux de s'aventurer même en plein jour.
Il n'avait pas le choix. Il lui fallait s'arrêter là pour passer la nuit et profiter du reste de clarté pour trouver un abri à peu près confortable. La chose, d'ailleurs, lui semblait toute naturelle. Elle faisait partie des imprévus de la vie errante et n'offrait pas de difficultés. A condition de ne pas rester à demi suspendu sur cette corniche qui surplombait l'abîme.
Il vit qu'à sa droite le terrain était moins à pic et qu'un couloir entre deux crêtes formait une sorte de sentier naturel menant vers un plateau mieux dégagé. Il le suivit.
Comme il escaladait un obstacle, des pierres s'en détachèrent en faisant quelque bruit que l'écho amplifia dans l'immense silence.
Alors, il entendit une voix qui l'appelait avec un accent désespéré.
Quelques instants plus tard, il arrivait devant un homme étendu par terre et qui avait tout l'air d'agoniser. Il l'examina, ne lui trouva pas de blessure apparente, le réconforta dans la mesure où il le pouvait, l'interrogea.
- Plus rien à faire, haleta l'inconnu, j'échoue au port... C'est bien, bien pénible... Au moment où je les sauvais... où je leur apportais enfin le bonheur, la vie...
Il s'interrompit, épuisé. Que signifiait ces paroles ? Très doucement, comme on parle à un enfant effrayé qui s'éveille d'un cauchemar, le Virginien le rassura, l'apaisa. Et peu à peu, par bribes décousues, il apprit son histoire.
L'homme était un Mexicain, Cecilio Zarco, chercheur d'or. Il s'en revenait des vallées à l'ouest de la Nevada encore inexplorées, où il avait trouvé quelques parcelles du précieux métal. Ils étaient quatre associés dans cette recherche et chacun en avait rapporté sa part, sa très petite part, de quoi vivre cependant... Pour lui, c'était un bonheur inespéré parce qu'il avait femme et enfants. Il les avait laissés dans la plus profonde misère quand il était parti, chassé par un mauvais sort tenace. Maintenant, avec ce qu'il leur ramenait, ces cailloux jaunes, ils ne seraient certes pas bien riches, mais ils ne seraient plus malheureux, plus jamais... Ah ! comme il aurait voulu les revoir, être témoin de leur bonheur ! Mais voilà, l'expédition avait été dure, dure pour lui surtout qui s'était mis en route avec une santé mauvaise... Et puis, ils avaient pris les fièvres en traversant les marais. Les autres avaient tenu le coup après beaucoup d'efforts et de souffrances. Pressés d'atteindre leur gîte, ils étaient partis devant. Il avait cru pouvoir les suivre. Et puis, il était tombé là. Maintenant, c'était fini. Il n'en avait plus que pour quelques heures à vivre.
- Pour cela, pensa le Virginien, le pauvre gars ne se trompe guère. Et je ne peux rien pour lui, ni moi ni personne, sinon adoucir ses deniers moments si j'en suis capable...
Il ramassa la cape trouée du misérable, la roula pour lui en faire un oreiller, l'étendit le moins inconfortablement qu'il put. Puis il alluma un feu car la nuit s'annonçait froide.
L'homme lui dit :
- Au point où j'en suis arrivé, je dois courir ma dernière chance. Elle est entre vos mains, senor étranger. Quand on est près de sa fin, on a une sorte de clarté qui vous fait mieux comprendre les choses. Je n'ai jamais eu grande confiance en mes associés que je connaissais à peine. Vous, je le sens, j'en suis sûr, vous êtes loyal. Alors, je me fie à vous, entièrement.
- Parlez ! dit le Virginien.
- Le petit trésor que j'ai amassé est là, à trois pas, sous le rocher, dans un sac de cuir, un sac indien fermé et cousu avec des tendons séchés comme font les guerriers coyoteros. Je l'ai caché là quand je me suis senti défaillir, avant-hier, pensant que peut-être le repos, le sommeil... Enfin, espérant que je pourrais repartir, reprendre mon bien leur apporter... hélas, c'est bien fini, et d'ici Cordova, il y a quatre longs jours de marche... Cordova, vous vous souviendrez ? Dans l'impasse del Suchil près de la Tertulia de Pericho... Ce n'est pas un quartier riche, bien sûr, mais vous trouverez facilement. ous demanderez Na Bamba, c'est elle... Na Bamba Zarco, la femme à Cecilio, le gambusino... Une pauvre petite chose, senor cavalier... Elle a toujours été fragile !... Mais nous nous aimions tant ! Alors vous lui apprendrez la nouvelle tout doucement n'est-ce pas ?... Les enfants, ils sont encore petits, ils ne comprendront guère... Mais elle, je sais bien qu'elle aura de la peine... une grande peine...
Il étouffa un sanglot. Le Virginien lui prit la main, la serra, déjà toute froide, entre les siennes.
L'homme continua :
- Et puis, vous lui donnerez l'or ! Ce sera une consolation tout de même, n'est-ce pas ?... M'en aller en sachant que je les laisse à l'abri de la misère, à l'abri pour toujours ! C'est une chose merveilleuse dans ce pays où le pauvre reste toujours pauvre quoi qu'il fasse, même en s'écrasant de travail. Tandis que maintenant ils pourront quitter cette terre d'esclavage, s'installer ailleurs... Et les enfants, plus tard, pourront s'instruire. Jamais je n'aurais osé espérer cela ! Et pourtant, c'est arrivé... Ce ne serait rien si seulement j'avais pu les revoir !
Il s'était un peu soulevé dans un élan suprême. Il retomba épuisé, le souffle court, sifflant. Le Virginien remit en place le manteau qui soutenait sa tête. Puis, il alla ranimer le feu.
- L'or, murmura Zarco, je voudrais revoir l'or, le toucher une dernière fois avant qu'il soit dans ses mains à elle !
- Je vais vous le chercher, dit le jeune chasseur.
Il prit dans le brasier une branche allumée pour s'éclairer car la nuit était venue. Et il s'éloigna vers la cachette.
Alors, il se sentit étreint d'une inexprimable angoisse parce que, tout de suite, il avait vu et compris, renseigné par son infaillible instinct de chercheur de pistes...
Les autres, les prétendus associés, sachant que leur compagnon était à l'agonie, avait perdu connaissance, étaient revenus avaient retrouvé la cachette, le sac de cuir, l'avaient vidé, s'en étaient partagés le contenu. Et ils l'avaient rejeté, éventré, pour s'enfuir où on ne les retrouverait jamais plus !
Le Virginien restait là, debout, immobile, cent fois plus accablé que si on lui eût volé ce qu'il avait de plus cher au monde, et qui n'était pas un peu d'or ! L'atroce désillusion qu'allait avoir ce misérable lui inspirait une pitié profonde et indignée.
Une plainte vint jusqu'à lui, suppliante. L'homme s'inquiétait de son absence, l'appelait. Il prit une rapide résolution, ramassa les cailloux et le sable du sentier, en emplit le sac, renoua, resserra du mieux qu'il put les lins qui le tenaient fermé. Et il s'avança résolument.
- J'ai trouvé le tout bien en place, s'écria-t-il d'une voix qu'il s'efforçait de rendre gaie; vous avez fait là un bon poids don Zarco ! Voilà le magot, mais tâchez de ne pas l'éparpiller dans l'obscurité car il n'en faut rien perdre ! Laissez à Na Bamba l'heureuse surprise de l'ouvrir elle-même !
L'homme eut un sanglot qui essayait d'être un rire.
- Vous avez raison, bégaya-t-il et quand vous lui remettrez...
- Quoi ! interrompit le jeune homme, vous le lui remettrez bien vous-même !
- Comment voulez-vous que...
- Vous croyez-vous donc à l'agonie pour un accès de fièvre ? J'en ai subi bien d'autres et de plus graves ! Et cependant me voici !
Le Mexicain eut un soupir apaisé.
- Vous croyez ? murmura-t-il.
- Je n'y croisn pas, j'en suis sûr ! Ne vous agitez pas. Restez bien paisiblemment étendu, jusqu'à ce que le sommeil vous prenne !
- Oui, dit l'homme très doucement, mais je voudrais... l'or...
- C'est cela, approuva le Virginien. Prenez le sac dans vos mains, il vous aidera à vous endormir plus tranquille !
Les doigts amaigris se crispèrent, saisirent avec ferveur l'objet qu'on leur tendai.
- Ah ! cria Zarco dans un sursaut d'émotion, comme il est lourd !
- Une vraie fortune ! insista le Virginien. S'il faisait jour, nous en étalerions le contenu sur la cape et nous en estimerions la valeur, mais il faut attendre demain... Vous verrez ! Na Bamba et vous, vous êtes devenus riches !
- Riches ! répéta le gambusino ! senor cavalier, quel bien vous me faites ! Sans vous... Et si vous vouliez combler mon plaisir, vous accepteriez un de ces lingots... un seulement, pour...
- Plus tard, plus tard, interrompit vivement le Virginien; n'ouvrez pas ce sac dans la nuit, vous risqueriez de tout perdre ! Nous fêterons la chose chez vous, avec vous, quand nous nous retrouverons tous à Cordova ! A ce propos, ajouta-t-il en accentuant son enjoué, ne pourrions-nous pas réunir aussi vos associés ? J'aurais grand plaisir à les connaître !
- Je ne sais que leurs prénoms, Alberto et Philippe-Juan... Ils fréquentent l'auberge de Motril dans le haut quartier de Cordova.
- Je saurai les retrouver, affirma le Virginien avec une sincérité qui n'était pas feinte; un entretien avec eux me serait particulièrement agréable !
Mais le moribond ne semblait plus l'entendre... Il s'endormit pour toujours aux premières lueurs de l'aube.
Le Virginien lui prit des mains le sac qu'il continuait de tenir serré avec force. Il en vida le stérile contenu et le contempla pensivement.
- Et voici l'héritage, l'unique et réel héritage que je dois maintenant remettre à qui de droit ! songait-il. Corvée plus pénible encore que d'assurer à ce pauvre diable la sépulture sommaire que voudra bien lui accorder la montagne... Quant aux deux autres, ils devront bien rendre gorge... Na Bamba recouvrira peut-être une partie de son or ?...
La clarté du jour naissant s'accentuait. Bientôt, les cimes de la montagne se teintèrent de rose. Tout près de là, profitant de la poussée d'air chaud qui montait du sol, un vautour s'éleva, d'un lent coup d'ailes et se mit à tournoyer haut dans le ciel :
Le Virginien l'aperçut, puis il regarda le corps étendu que l'oiseau funèbre avait déjà distingué.
- Je ne serai quand même pas venu ici pour rien ! se dit-il.
Deux heures plus tard, le Virginien descendait parmi les rocs... Et il y avait encore un long chemin d'ici à Cordova...

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T
la fameuse fièvre de l' or aura fait des heureux mais aussi bien plus de morts !<br /> une exception ce virgnien
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