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l'oncle Gaspard

Publié le par HITOYUME

A Brévent, de maison en café, de café en épicerie, on parlait de l'arrivée de l'oncle Gaspard.
- Vous savez bien le fameux oncle de François.
- François le facteur ?
- Oui, il paraît que son oncle était un grand voyageur et qu'il a amassé une fortune extraordinaire. Mais il est d'une avarice terrible et, maintenant qu'il est fatigué des voyages, il vient finir ses jours ici, à Brévent, chez son neuveu.
On en discute même sur la place de l'église. Pensez donc, en dehors de la fête annuelle et d'un mariage, ou un enterrement, par-ci par-là, il ne se passe rien d'extraordinaire dans ce coin de Provence, perdu dans les collines qui longent la Durance.
François, au cours de sa tournée, trouvait moyen à chaque porte, où il venait porter une lettre, ou le journal, de parler de cet oncle extravagant qui avait vécu au Texas comme au Brésil, au Japon comme en Australie et qui, après fortune faite, et dûment déposée dans une banque, ne voulait plus voir personne d'autre que son neveu, et ne plus rien entendre que le chant des cigales.
Avare, il l'était pour sûr, et plus qu'on ne pouvait l'imaginer, puisqu'il projetait même de se faire nourrir ar son neveu, mais il ne fallait pas oublier que ce neveu était son seul héritier. Cela méritait bien quelques sacrifices.
Jusqu'-là, on n'avait pas fait très attention à François le facteur. C'était un homme encore jeune qui vivait seul dans une petite maison entourée d'un jardin, tout au bout du village. Il était arrivé là de Marseille deux ans plus tôt et il ne s'était pas fait d'amis. C'est tout ce qu'on pouvait en dire.
Mais, depuis qu'il avait commencé à parler de l'oncle Gaspard, on aimait bien l'attirer dans un coin, lui offrir à boire pour l'écouter un peu.
- L'oncle, disait-il, un drôle de type. La dernière fois que je l'ai vu, c'était il y a quatre ans au cours d'une de ses escales à Marseille. A force de vivre seul il est devenu sauvage. Il ne parle que par grognements et ne sait même plus s'habiller comme tout le monde, porte un chapeau à grands bords, des bottes et un foulard et, de plus, il ne quitte pas une drôle de valise dans laquelle il doit promener des lingots d'or avec sa brosse à dents.
Il n'en fallait pas plus pour tenir en éveil toute la population de Brévent, qui devait se monter à quelque chose comme 500 habitants.
Un jour ce novembre, un mardi exactement, François arriva au café de Marius juste à l'heure de l'apéritif.
Bien sûr on parla de l'oncle Gaspard, et le facteur exhiba même une lettre , si on pouvait appeler lettre une feuille de papier sur laquelle étaient jetés quelques mots d'une écriture nerveuse et désordonnée, où il était dit que l'oncle viendrait "prochainement".
Les Martin voulurent inviter François à déjeuner pour le dimanche suivant, mais il fut obligé de refuser, ce dimanche-là il devait se trouver à Marseille pour régler une affaire de son dernier emploi, il partait même le samedi soir pour ne revenir que le lundi matin.
Le jeudi, François revint à la même heure au café, l'air affolé et un papier bleu à la main.
- L'oncle..., dit-il.
- Quoi, il est mort ? s'écria Marius.
Toutes les têtes s'étaient tournées vers François. Certains avaient pâli d'émotion. Décidément l'oncle Gaspard faisait déjà partie de la famille de chacun.
- Mais non, dit le facteur, il n'est pas mort. Il arrive dimanche par le car de deux heures.
- Et alors, c'est une bonne nouvelle, reprit Marius... Ca s'arrose.
- Ca s'arrose peut-être, mais dimanche je ne serai pas là pour le recevoir.
Si ce n'était que ça. Vingt-cinq voix, le café était plein, s'élevèrent pour proposer d'aller cueillir l'oncle à la sortie du car. Lui, son chapeau, ses bottes, sa valise de pépites et le carnet de son compte en banque suffisaient à justifier un tel enthousiasme.
François fut vite assuré que l'on montrerait le chemin de sa maison à l'oncle Gaspard, mais, après avoir remercié ses concitoyens, il dut leur faire quelques recommandations : il ne fallait pas se montrer trop bavard avec l'oncle, qui n'aimait pas ça et surtout ne pas chercher à le faire parler.
Au cours de la discussion qui s'ensuivit, il fallut encore calmer les tempéraments trop chaleureux.
Pensez donc, certains voulaient installer des banderoles en travers la grande place avec : "Bienvenue à l'oncle Gaspard". Julien proposait hypocritement : "Longue vie à l'oncle Gaspard", alors qu'il ne pensait qu'à recueillir quelques restes d'héritage. Sosthène, plus direct, proposait : "Merci à notre bienfaiteur", avec l'idée que cela encouragerait l'oncle.
Bien entendu, on avait proposé la fanfare, un vin d'honneur, des fleurs... enfin, tout le bataclan.
François s'y opposa formellement et vigoureusement. Il affirma que, si l'on faisait une telle réception à son oncle, celui-ci repartirait aussitôt. Cet argument calma les Bréventais.
Il fut décidé qu'une délégation de deux personnes suffirait amplement, l'une pour surveiler l'autre, et qu'il n'était pas question que ce fussent des personnalités, comme le maire ou le garde champêtre.
D'ailleurs, François le désigna lui-même, ce serait Théodore le bègue, comme ça il ne parlerait pas de trop, et César le cordonnier. césar était très myope, mais après tout il n'y avait pas besoin d'être tellement clairvoyant pour reconnaître cet original d'oncle Gaspard.
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Dimanche arriva, François était parti la veille après avoir donné ses dernières instructions, avec la clé de sa maison.
Dans la plupart des familles de Brévent, on avait bâclé le repas de midi pour être prêt pour l'arrivée du car. On se cacherait, ou on se promènerait avec "l'air de rien", mais tout le monde voulait "le" voir.
Lorsque le car arriva sur la place, l'émotion était grande, mais les Bréventais furent disciplinés.
Du fond du car on vit surgir un vieillard à barbe blanche pour le moins extravagant que l'avait annoncé François le facteur.
Emus, engoncés dans leurs habits du dimanche, Théodore et César s'avancèrent gravement vers l'homme qui descendait le dernier du car et qui semblait déjà jeter un re    ard méfiant autour de lui.
César enleva son chapeau et dit avec cérémonie :
- Vous êtes bien Monsieur l'oncle Gaspard ?
Le vieillard émit une sorte de rugissement rauque et rapide qui sigbifiait "oui".
- Nous sommes..., commmença César d'une voix blanche. Nous sommes chargés de vous accueillir... venir par votre neveu... empêché François, qui Monsieur oncle Gaspard... nous vous conduire... demande...
Il s'embrouillait dans son texte appris par coeur et Théodore le bègue le regardait d'un air ahuri sans pouvoir lui venir en aide.
L'oncle Gaspard arrêta ce discours d'un geste :
- C'est par là, dit brusquement César en lui montrant le chemin.
Il eut un geste timide pour proposer de porter la petite valise, mais l'oncle s'y cramponna avec une telle âpreté que César n'insista pas.
Les trois hommes partirent en direction de la maison de François, sous les regards cachés de toutes parts.
Une demi-heure plus tard, César et Théodore revenaient sur la place et faisaient le récit de leur aventure, au milieu de la foule assemblée.
A vrai dire, il n'y avait rien à raconter que les autres n'aient pu voir, et l'oncle Gaspard les avait plantés à la porte sur un dernier grognement. Il n'y avait plus qu'à attendre François.
Celui-ci arriva comme prévu le lendemain matin à six heures. Quelques courageux étaient venus l'attendre au car. On n'avait pas revu l'oncle Gaspard autrement que sous la forme d'une ombre derrière la fenêtre, et encore à huit heures du soir il avait éteint sa lumière.
A midi, François revint au café et remercia en son nom et au nom de l'oncle, pour la réception discrète qui lui avait été faite dimanche.
Les Bréventais avaient été un peu déçus que tout ce fût déroulé si vite, et si simplement, mais ils se consolaient en pensant que maintenant ils avaient l'oncle sous la main et que, François servant d'intermédiaire, ils en sauraient davantage et que d'ailleurs l'oncle n'était pas éternel.
Les jours et les semaines suivants, François venait au café ou dans les familles faire le récit des voyages fabuleux de l'oncle. Le vieillard ne voulait pas bouger de la maison et avait exigé de ne jamais voir personne, il avait été mis en confiance par son neveu et s'était, paraît-il, révélé particulièrement bavard au cours des soirées.
En peu de temps, François gagna un prestige extraordinaire auprès des Bréventais, comme s'il avait fait lui-même les voyages et la fortune de l'oncle Gaspard.
On le fêtait partout, peut-être son futur héritage y était-il aussi pour quelque chose, puisque, en plus de l'amitié, on lui proposait même de l'argent... comme ça... on ne sait jamais... ça pouvait lui servir...
Il acceptait en disant :
- J'aurai l'occasion de vous rendre ça largement.
Et tout le monde clignait de l'oeil.
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Au bout d'un an, François avait abandonné sa fonction de facteur et ouvert un nouveau café, avec l'argent qu'on lui avait avancé. Ses affaires marchaient à merveille et il avait déjà gagné de quoi rembourser une partie de ce qu'on lui avait prêté. On tenait même à le présenter aux prochaines élections pour devenir maire.
Le jour où, dans on café, il annonça aux Bréventais que l'oncle Gaspard s'était enfui dans la nuit, sans esprit de retour, personne n'en fit un drame.
Après tout on en avait assez d'entendre parler de ce vieillard qu'on ne voyait jamais, on en avait assez d'attendre un héritage auquel on n'avait pas droit, et, puisque François était en mesure de rembourser ce qu'on lui avait prêté, il n'y avait pas trop à s'en faire. Il n'y avait même pas de regrets à avoir pour lui, maintenant qu'il avait son café.
L'histoire de l'oncle Gaspard glissa comme une lettre à la poste, c'est le cas de le dire, et pourtant...
Pourtant il n'y avait que François qui savit que l'oncle Gaspard n'avait jamais existé, et que c'était lui-même déguisé, avec une fausse barbe blanche, qui était descendu du car ce fameux dimanche.
Même qu'il avait fait vingt kilomètres à pied dans la nuit du dianche au lundi pour reprendre le car qui devait le ramener à Brévent le lundi matin.
Enfin tout cela était du passé, mais son café, il l'avait.

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T
et bien ce renard mérite le café qu'il s' est payé
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