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souvenirs

le con

Publié le par HITOYUME

SOUVENIRS

On naît tous cons. Mais le degré de stupidité peut s’estomper ou, le cas échéant, prendre de l’ampleur.
La connerie fait des petits. Si on les renie, on est un con narcissique qui prend des grands airs. Si on les élève, c’est encore pire ; on devient le con par excellence, celui qui construit une famille inutile, celui qu’on montre du doigt et qu’on évite à tout prix.
Je n’ai pas voulu être un con. J’ai fait des études et essayé tant bien que mal d’obtenir un diplôme. Je n’ai rien obtenu,  j’ai commencé à me triturer l’esprit, à me demander ce qu’il fallait lire et apprendre pour s’enrichir. Mais, à multiplier mes connaissances, je n’ai rien gagné. Mon cerveau de con ne les a pas assimilées. Il les a rejetées en bloc.
Se lever un matin, se regarder dans le miroir, et savoir que l’on est un con, ce n’est pas facile !
Mais il est encore plus difficile de se traîner dans la vie à la recherche d’une intelligence potentielle. Quand on la découvre, elle nous tombe dessus. On ne s’en relève pas. On préfère alors le troupeau de cons et de connes que l’on vient de quitter. On ne s’y sent pas seul. On se situe au même niveau que les autres. On est sûr de comprendre la connerie. On y est habitué.
Ce n’est pas que j’aime les cons. Il y a des cons plus cons que d’autres. Ceux-là sont inaptes à vivre en société. Ceux-là, je les méprise. Déjà, être un con, ce n’est pas facile ! Mais alors un double con ! ? Comment font-ils ? !
La compagnie des cons me rassure. Il est vrai que dans une fanfare intelligente de bons hommes, le con ne sait plus où se mettre. Tandis qu’avec d’autres cons, il a au moins la possibilité de faire le narcissique. Il y a toujours un con qui s’élève au-dessus du lot. C’est ce à quoi j’aspire. On ne sait jamais ; le con a plus d’un tour dans son sac !
- Je suis con, et vous ?
Elle ne répond pas. Elle me considère avec de grands yeux effarés.
- Je ne sais pas ! Euh… non ! Je ne suis pas conne !
- Mais si, vous l’êtes… Ne soyez pas gênée. Il faut être fier d’être con ! On représente plus des trois-quarts de la population ! Ce n’est pas rien !
Elle éclate de rire. Elle trouve cela amusant d’être conne. Il est certain que l’on ne s’enrhume pas à lire des ouvrages de l’Antiquité ou des Traités philosophiques. On est con, le front dégagé de toute science, le cerveau creux comme une coquille d’huîtres. Et on aime ça ! La légèreté du con qui effleure les débats de société sans jamais y plonger, de peur d’y rester enliser jusqu’à la gorge.
- Vous faîtes quoi dans la vie ? demande-t-elle.
- Je joue à être un con. A part ça, je ne fais pas grand-chose.
Elle acquiesce comme si c’était une évidence. On continue à patauger dans la vacuité de nos existences, à s’appuyer du vêtement pauvre de nos pensées. Je débite un ramassis de conneries. Elle rie jusqu’à se tordre en deux. Moi, je fais le beau. J’essaie de lui prouver que je suis le con indispensable dans le monde. Elle finit par me croire et rejoindre mon lit.
Brigitte m’aime en tant que con. Je l’aime en tant que conne. Je me dis que je ne ferais pas comme tous les autres cons, que je resterais avec elle sans pour autant faire une grande cérémonie. Mais Brigitte s’impatiente ; sa connerie la submerge. Alors on s’y met à deux. On commet l’imprudence d’organiser ce mariage à la con ; robe blanche et costard noir, l’odeur étouffante des fleurs qui gaspillent les bonnes senteurs du banquet, les félicitations factices des célibataires à la con, les félicitations inutiles des couples à la con, l’animateur bidon, la musique disco, les danses ringardes, les baisers à la con. Non, sans rire, je n’oubliais jamais cet événement. J’avais atteint le paroxysme de la connerie.
- Je suis enceinte, me dit-elle après une séance de va-et-vient devant la télévision.
- Enceinte ? Rassure-moi ! Tu m’as trompé avec un ingénieur qui t’a engrossé dans le dos ! ?
- Chéri, qu’est-ce que tu racontes ? Je te suis toujours restée fidèle ! On va avoir un enfant !
Je reste la bouche ouverte, les yeux agrandis de surprise. Je n’y crois pas. Brigitte a osé le faire ; arrêter la pilule sans me prévenir. Elle est assise à califourchon sur moi et me regarde en souriant, fière de sa connerie. J’ai presque envie de la gifler ou de lui donner des coups de poing dans le ventre, histoire que la connerie ne parvienne pas à maturation…
- Faut que t’avortes ! Je ne veux pas un con de plus dans la maison !
C’est comme un coup de massue sur sa tête. Brigitte louche. Ses paupières vacillent puis des larmes lui montent aux yeux. Je la vois s’effondrer avec plaisir. J’ajoute même pour renforcer ma position de con marital :
- Je t’ai toujours prévenu que je ne voulais pas de gamin ! Pourquoi t’as arrêté la pilule sans me prévenir ? Tu n’es qu’une traîtresse ! ! !
Elle dodeline de la tête en reniflant. Elle se retire à l’autre bout du lit en se lamentant sur son sort. Puis elle décide de se venger et de me rendre le coup de massue sur la tête :
- Je ne peux plus avorter. Soit tu acceptes notre enfant, soit on divorce…
Un divorce à la con ? ! Elle se fout de ma gueule ? ! Mes parents ont cultivé leur connerie ensemble et ont été enterrés dans le même tombeau. J’ai voulu rattraper l’erreur de ma naissance mais Brigitte a contredit mes projets. L’enfant à la con va naître, celui qu’on aime d’un amour sans égal et qui finit par faire des conneries aussi insupportables que sa petite gueule. Comment pourrais-je supporter ça ? ! Un reflet de ma propre connerie qui grandit à mes côtés ? Je vais devoir endosser la responsabilité du père qui doit sans cesse ramener son gosse dans le droit chemin. Mais un con reste un con. C’est un problème d’hérédité. Sinon, pourquoi y aurait-il tant de cons sur la terre ?
Petite femme à la con, avec tes vomissements à répétition et ta mauvaise humeur quotidienne. Dès que j’en ai l’occasion, je te rappelle combien je n’ai pas désiré cet enfant qui grandit dans ton ventre. Parfois, j’ai l’impression d’entendre déjà ses vagissements.
La paix du mari est belle et bien bannie de cette maison.
Je te maudis chaque jour davantage. C’est comme une tâche ingrate qui suppure sur les murs. Ma seule envie, c’est de la liquider au détergent.
Brigitte…
Je commence à tourner en rond, à imaginer quel con de père je peux devenir. Cela me terrifie. Rien de pire qu’un con qui élève un bébé dans le charivari de sa connerie. J’ai conscience de mes responsabilités. Ce n’est pas n’importe quel statut. Je vais participer à la naissance d’un futur con. J’apporte ma patte à l’élaboration de la connerie universelle. Peut-être que je recevrais les honneurs d’avoir fait ce que tous les cons du vingt et unième siècle s’acharnent à produire ; un amas de stupidités qui déborde sur les trottoirs.
- Y’a pas à dire ! Je suis vraiment un sale con !
Brigitte me fixe avec un regard vide :
- Tu veux ma photo ? lui dis-je, d’un air farouche.
- J’ai la nausée. Tu veux pas aller me chercher quelque chose à la pharmacie ?
- T’as des jambes, non ? ! Assume ta connerie jusqu’au bout et va chercher ça toi-même !
Elle me méprise du regard mais n’ajoute rien. J’ai gagné. Elle lève son gros derrière et se dirige vers la porte. Pauvre conne… Elle n’essaye même pas de me tenir tête. Elle a les larmes aux yeux. Moi, je déborde de connerie. Je lui souris. Je ne cesse de ricaner dans ma barbe. Je chantonne en la voyant se courber de douleur devant moi. Rien ne m’atteint. Tout à coup, mon épouse n’a plus aucun intérêt. Elle porte un gamin que je ne désire pas, image de ma propre médiocrité. Je ne le supporte pas. C’est une de ces connasses à l’instinct pervers qui parvient toujours à arriver à ses fins. Mais moi, je suis l’homme de la famille. Je ne la laisserai pas pourrir mon statut et faire naître ma connerie au grand jour.
Brigitte, au bout de quelques mois, affiche sa grossesse comme une affiche publicitaire. A chaque fois que je croise la grossière erreur qu’elle porte à l’intérieur de son ventre, ma colère s’accentue et met mes nerfs à vif.
Je la hais, d’une haine profonde, pathétique, gonflée d’une connerie luxueuse.
- Qu’est-ce que t’as ? Pourquoi tu me regardes comme ça ? demande-t-elle, incrédule.
- Jamais vu une connerie aussi insupportable à regarder.
Elle ne comprend pas ou fait mine de ne pas assimiler mon langage. Je ne doute pas de gagner un jour la partie. Ce sera lui ou moi. Si elle ne veut pas choisir, je n’hésiterai pas à employer les grands moyens.
Le con, il n’a peur de rien. Il peut utiliser toutes les armes nécessaires si cela en vaut la peine, si son intérêt de con est en jeu, s’il ne craint pas la réaction d’une foule qui tient scrupuleusement compte de la déclaration universelle des Droits de l’homme.
- Arrête de faire la gueule… Faudra bien que tu l’acceptes, cet enfant…
- Tu n’es pas encore à l’abri d’une fausse couche, ma mie… Je prie toutes les nuits pour que mon vœu soit exaucé…
Et voilà ! Elle se remet à chialer !
Il n’y a rien de pire qu’une femme enceinte en train de dormir. On dirait que son surpoids lui donne le droit de prendre toute la place. Les cuisses écartées, la poitrine haletante, le ronflement intolérable qui noie le silence. Je lui ai bien envoyé trois coups de coude dans les côtes mais Brigitte est restée passive comme une baleine échouée sur une berge. Quand je récupère un morceau de couette, elle gigote et s’accroche à son dû. Je sens que le marmot est déjà là, qu’il vole ma place de mari, qu’il fera de moi le dernier des cons.
Je ne le veux pas.
Je regarde le monde et je le vois d’une autre couleur. Il porte la blessure d’une gangrène qui s’apprête à s’épancher sur son dos. L’enfant bâtard ne va pas tarder à corrompre mon quotidien. Je peux déjà sentir son influence dans cette chambre.
Sa présence m’étouffe…
J’imagine l’atmosphère lourde de l’accouchement, les hurlements de douleur qui se mêlent aux hurlements de joie, les visages crispés dans l’attente du nouveau-né, la tronche indélicate du médecin penché sur le vagin de mon épouse, ses mains tortionnaires qui prennent le taureau par les cornes. Je visualise l’émotion collective devant la connerie monstrueuse peinturlurée de sang, le faciès grimaçant, les membres gesticulant comme les tentacules d’une pieuvre.
La laideur de cet accouchement m’obsède déjà…
Et je prends conscience qu’il n’y aura pas de trêve, que le con ne pourra se confronter au petit con auquel il est attaché par un lien de consanguinité.
Non, impossible…
Je l’ai entendu crier. J’ai cru qu’elle était en train de mourir. En réalité, rien n’est plus vrai. Elle m’a regardé de ses yeux larmoyants en me murmurant qu’elle allait accoucher. Enfer et damnation ! J’ai reculé. J’ai opiné de la tête avant de lui faire une révérence et de tourner les talons. Elle a hurlé mon nom. Je l’ai maudite pour cela.
J’ai disparu dans ces bars divertissants où les ivrognes s’attablent auprès d’autres ivrognes, heureux du nombre de bouteilles vides qu’ils gardent auprès d’eux comme des vulgaires trophées de foire.
J’ai été l’un d’eux, cette nuit… Le con au visage aviné, aux mains sales, à la grimace avidement laide, à l’œil vitreux. L’homme du bar qui revient de l’enfer pour avilir une société déjà ivre de connerie humaine. J’ai été ce con qui bafouille un autre verre tandis que sa femme accouche à quelques kilomètres de là. J’ai eu peur, peur que ma connerie me rattrape et me pousse à tuer l’enfant ou la mère, dans un accès de démence incontrôlable.
Je savais que j’étais capable de le faire.
Le con se retrouve seul face à sa conscience. Alors qu’il tente d’atteindre le coma éthylique, il se rend compte qu’il ne parvient même pas à mener la beuverie jusqu’à son terme. Pauvre con…
La nuit s’est écoulée dans les vapeurs infestées de cette décharge publique. Quand j’ai regagné la maison, je n’avais plus de force. J’avais le sentiment d’avoir atteint la dernière limite du con, celle qui oblige à se confronter au miroir pour dilapider la connerie et en faire une analyse poussée.
Le psychiatre de mon esprit s’est mis en musique et m’a recommandé de dormir.
Je l’ai fait, longtemps.
Le con oisif oblige ses rêves à continuer leur discussion, à ne pas le laisser seul face à sa connerie.
J’ai dormi deux jours.
J’ai tout fait pour ne pas affronter le problème qui empestait ma vie.
Puis j’ai ouvert les yeux. La douleur du père n’était plus. J’avais recouvré la vue. J’étais capable d’apercevoir ce landau et d’entendre la douce sonorité de la voix d’un bébé. Mes mains ont commencé à trembler. De la sueur est apparue sur mon front. J’ai grimacé au contact de la vérité du con éternellement bon.
Je me suis penché…
J’ai admiré le chef d’œuvre de la famille. Je n’avais pas une attitude de con. J’étais heureux.
C’était une fille, une adorable fille aux charmantes fossettes. J’étais heureux parce qu’elle ne me ressemblait pas. En réalité, elle ne ressemblait à personne. Elle était unique. Elle avait évité le gouffre de la connerie humaine. Elle incarnait la perfection. Je l’ai prise dans mes bras et j’ai pleuré jusqu’à me vider de ma carcasse à la con. Il ne m’en est rien resté si ce n’est une violente migraine.
Le lendemain, j’avais changé. L’amour m’avait réinventé.

A  LUNDI

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