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dans le noir

Publié le par HITOYUME

Sa mère le borda avec soin et l'embrassa sur le front.
– Bonne nuit mon chéri, lui murmura-t-elle en s'éloignant dans la semi-pénombre. Elle s'arrêta sur le pas de la porte et se retourna une dernière fois.
– Fais de beaux rêves. 
– Toi aussi, m'man !
– Est-ce que je ferme la porte ? 
– Non ! Laisse-la à moitié ouverte s'il te plaît, supplia-t-il.
– Bon, alors juste un petit peu.
Elle laissa un mince entrebâillement et s'éloigna dans le couloir. 
Nicolas écouta le bruit de ses pas dans l'escalier. Il était de nouveau seul à l'étage, perdu au milieu d’un dédale de couloirs plein de sombres recoins, avec comme seul rempart son lit et sa couette Pluto. 
Il avait décrit en détail à sa mère la foule de monstres nocturnes susceptibles de venir le dévorer tout cru, mais elle avait ri. Quelle insouciance ! Loups-garous sans muselière, araignées mutantes piqueuses, sorcières cannibales et autres vampires invisibles peuplaient ses nuits mais il était le seul à en appréhender le danger.
Il s'enroula comme un rouleau de printemps dans l'épaisseur protectrice de la couette et observa pour la millième fois sa chambre plongée dans le noir.
Dans la journée, c'était une pièce très banale, où il jouait et faisait ses devoirs en toute sécurité, à tel point qu'il oubliait parfois qu'il était seul à l'étage. Mais dès que les lumières s'éteignaient, tout changeait et il se retrouvait isolé dans un monde dangereux et effrayant.
Ses peluches alignées sur le rebord de son armoire le fixaient de leurs grands yeux synthétiques. Elles si joyeuses quand la lumière du soleil les réchauffait le terrifiaient maintenant qu'il avait du mal à les reconnaître, comme si des doubles maléfiques avaient pris leur place. 
Il observa les posters de basket punaisés aux murs. Des joueurs américains en pleine action le narguaient de leurs grandes pupilles sombres. Un des athlètes semblait même lui sourire bizarrement. Nicolas se concentra sur la photo et sentit la peur monter en lui. Ce jeune joueur des Indiana Pacers semblait vraiment le regarder, droit dans les yeux. Sentant des picotements aiguillonner son petit cœur, il se força à regarder ailleurs et ses yeux se posèrent sur son bureau. 
Quelqu'un était couché dessus ! Il sursauta et fut rempli d'épouvante. 
Il plissa les yeux par deux fois et constata l'impossible horreur. Une sombre silhouette était allongée sur le côté en position fœtale et lui tournait le dos. L'angoisse glacée coula dans ses veines. La silhouette respirait, il arrivait presque à voir son flanc se soulever régulièrement. La peur grandit en lui et sembla vouloir sortir sous la forme d'un cri.
Il s'enfonça profondément sous sa couette et la tira sur son visage. Il tremblait et ses membres étaient engourdis. 
La chose allongée sur son bureau ne bougeait plus. Peut-être un cadavre, suggéra son esprit qui s'efforçait de toute son énergie et bien malgré sa volonté à imaginer les plus macabres hypothèses. 
Un Indien scalpé ? Un tueur fou de grande taille qui n'aurait pas trouvé de place pour se cacher convenablement ? Un clochard dévoreur d'enfant n'ayant trouvé que sa chambre pour y passer la nuit, et qui sait, peut-être y trouver de quoi grignoter ?... 
Nicolas se mit à transpirer.
Il eut le courage de sortir un avant-bras tremblant hors de la couette pour attraper le cordon de sa lampe de nuit. Il alluma la lumière en se retenant de hurler d'effroi et de s'enfouir sous la couette protectrice.
Des vêtements. Ce n'était qu'un banal paquet de linge sale que sa mère avait dû poser là pour faire une lessive le lendemain matin. Sa peur s'estompa et il embrassa sa chambre du regard, pour vérifier que rien d'autre n'aurait pu se révéler suspect une fois la lumière éteinte. 
Une vieille poupée sur le rebord de l'armoire accrocha son regard. Elle avait bougé, il en était sûr. La peur le reprit et il fit un bond sur lui-même quand l'ampoule de sa lampe de chevet grésilla et s'éteignit. 
De nouveau il était plongé dans le noir, avec une poupée vivante et démoniaque tout près de lui. Son cousin lui avait parlé d'un film avec une poupée qui tuait des gens, un film qui faisait très très peur, à ce qu'il disait. 
Il essaya de rallumer sa lampe, mais l'ampoule était vraiment morte. Il perçut du coin de l'œil un mouvement. Il ramena instantanément sa main sous la chaleur de la couette et regarda vers la poupée. Elle avait bougé. Un instant il crut même qu'elle avait disparu. À cette pensée, il sentit son dos se contracter sous la terreur qui l'assaillait. Il s'emmitoufla presque complètement sous la couette. Seuls ses yeux dépassaient.
Soudain la lumière dans le couloir s'éteignit, plongeant la chambre dans une obscurité totale. Il gémit mais n'osa pas se lever pour aller rallumer et encore moins appeler sa mère. Il ne voulait plus se faire traiter de gros bébé de huit ans. Des dizaines de fois déjà il l'avait appelée en pleine nuit pour qu'elle vienne le rassurer. 
Un bruit très léger résonna en haut de l'armoire. Il chercha la maudite poupée du regard, mais ses yeux ne distinguèrent que des formes floues. 
Un glissement...
La porte de l'armoire coulissait lentement sur son rail. Tétanisé, il écouta du mieux qu'il put et il eut la terrible confirmation : quelqu'un ou quelque chose était tapi dans son placard. Un horrible monstre qui attendait patiemment qu'il s'endorme pour le manger tout cru. Nicolas pensa tout de suite au mystérieux marchand de sable dont sa mère lui avait parlé un jour. Un homme sans nom qui venait voir les enfants la nuit. Cela l'avait toujours terrorisé, d'autant plus que les parents laissaient faire ! Peut-être venait-il le chercher ce soir ?
Il entendit un rire. Un rire de petite fille, enfantin mais sinistre, qui trancha l'épaisse obscurité. Nicolas gémit et s'enfouit totalement sous la couette. Il pleura doucement et redouta la chose qui allait sûrement soulever un pan de la couverture ou le pincer avec ses doigts crochus à travers l'épais rembourrage de coton. 
Dans son abri noir et chaud, les sons extérieurs semblaient étouffés. Tout à coup la porte de son armoire se referma après une longue glissade. Il perçut des bruits de pas, ponctués d'éclats de rires sardoniques.  Il enfouit sa tête dans ses mains et essaya de penser à autre chose. Tout cela ne pouvait être réel, c'était sûrement son imagination. 
À travers la couette, quelque chose lui toucha dans le dos et lui attrapa le bras. Il hurla et fut secoué d'une crise de spasmes nerveux, alors que la main le tirait toujours plus fort. Tétanisé, il glissa hors du lit et la couette fut arrachée à ses petites mains. Une vague de fraîcheur parcourut sa peau. Il ouvrit les yeux et contempla avec horreur dans le noir la chose luisante qui l'avait tiré de son lit. 
Ses yeux roulèrent dans leurs orbites et il tomba à la renverse sur la moquette épaisse. 
Dans un demi-sommeil tourmenté par d'affreux cauchemars, Nicolas sentit de petites mains maladroites le tirailler dans tous les sens, l'agripper, le griffer, sans qu'il puisse leur résister ou leur rendre un coup. Il voulait pleurer et hurler pour alerter sa mère, mais plus aucun son ne sortait de sa bouche. Elle était comme obstruée, ou plutôt comme... cousue. Il replongea dans les marais d'un monde boueux et nauséabond et sentit qu'il quittait son corps, qu'il perdait tous ses sens et le contact avec la réalité. Plus de toucher, plus d'apesanteur. Ses hurlements s'étouffaient dans son cerveau avant même que celui-ci n'émette l'ordre à la bouche de les proférer. Tout en lui semblait bouché et empli de matière poussiéreuse et cotonneuse.
Encore les ténèbres. Sa conscience s'éteignit. 
Ses yeux s'ouvrirent sur sa chambre plongée dans la clarté du petit matin qui filtrait à travers les rainures des volets.
Sa vue était changée, figée et immobile. Il se rendit compte avec stupéfaction qu'il était très proche du plafond de sa chambre. Jamais il ne l'avait vu de si près.  De petites toiles d'araignées s'étiraient ci et là. 
Pris d'une irrépressible panique qui ne voulait pas sortir, il se vit dans son lit, allongé sous la couette. Se voir lui fit presque perdre la raison. Il essaya de bouger mais aucun de ses membres ne répondit à son ordre. Usant de toute sa force, il fit pivoter son champ de vision. 
La poupée le regardait avec un grand sourire rose cousu sur sa face de chiffon. Il essaya encore de bouger, mais son nouveau corps n'était pas relié à son esprit. Il tenta de hurler de toutes ses forces, mais rien ne sortit de sa gorge factice. Il essaya de bouger ses lèvres. Rien. Plus rien.
Sa raison sur le fil du rasoir commença à se pencher au-dessus d'un grand vide, un trou d'où il ne pourrait jamais ressortir. Jamais.  
Il chuta.
La mère de Nicolas pénétra dans sa chambre.
– On se lève là-dedans ! il y a école ce matin !
Tout de suite, elle remarqua sur le sol au pied de l'armoire une petite peluche qui était tombée. Elle la ramassa et se hissa sur la pointe des pieds pour la remettre en haut de l'armoire à côté des vieilles poupées de son fils. 
Elle ne remarqua pas la lueur de folie dans les yeux de l'ourson.

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