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Egopolis

Publié le par HITOYUME

Image and video hosting by TinyPic Image and video hosting by TinyPic Image and video hosting by TinyPicuittant le trottoir ensoleillé, Albert Kindjon pénétra dans un immeuble. En passant dans le hall, ses yeux parcoururent les boîtes aux lettres : M. ET Mme Kindjon; Mlle Kindjon Emilie; Me Kindjon avocat; M. Robert Kindjon... Albert Kindjon prit l'ascenseur, s'arrêta au 3ème étage. Sur le palier, il semble hésiter une seconde et se dirigea vers la porte de droite. Il sortit une clé de sa poche et ouvrit. C'était un appartement banalement meublé, typique d'un célibataire peu casanier, où s'étalaient un désordre d'objets utilitaires, de bibelots affreux, et qui sentait le renfermé. Albert ouvrit la fenêtre, passa dans la cuisine, prit une bière dans le frigo, et s'étala sur un fauteuil en skaï, devant une télé éteinte. Il but la moitié de la canette, vida le reste dans l'évier, jeta la bouteille dans la poubelle et quitta l'appartement. Il referma la porte à double tour, traversa le palier et ouvrit la porte d'en face. Cet appartement-là semblait occupé par un vieux couple. Napperons de dentelle, odeurs confinées, vieilles gravures dans des cadres dorés. Albert Kindjon erra sans but dans les trois pièces. Il ouvrit deux tiroirs, en regarda le contenu, couture et bric-à-brac, puis les referma. Dans la cuisine, qui sentait la vieille graisse refoulée au désodorisant puissant, il prit une boîte à gâteaux dans le placard, en tira un petit-beurre qu'il revint grignoter dans la chambre à coucher, allongé sur le couvre-lit en satin, tout en prenant garde de ne pas y poser ses chaussures et de ne pas y semer de miettes. Son petit-beurre fini, il quitta l'appartement et se retrouva sur le trottoir. La rue était vide et éblouissante en cette matinée de mai, on n'y voyait qu'une seule voiture arrêtée, la sienne. Préférant aller à pied, il prit à droite, parvint à l'angle du boulevard sur lequel une plaque bleue indiquait "Avenue Albert Kindjon", prit la rue à droite, qu'une autre plaque bleue indiquait comme la rue Albert Kindjon, passa trois villas, longea la façade du lycée Albert Kindjon, et s'assit quelques instants sur un banc devant l'église St-Albert. Après s'être reposé, il reprit sa marche et se retrouva sur la place monumentale qui portait son nom. Face à lui, l'hôtel de ville, à gauche le musée, à droite le théâtre. Au milieu de la place, une pelouse paysagée de massifs de fleurs et d'arbustes entourait sa propre statue. Un bronze de quatre mètres de haut, relatvement ressemblant. Il traversa la place en direction de l'hôtel de ville, y pénétra, monta l'escalier d'honneur et prit un ascenseur qui le mena jusqu'à la terrasse. Avec un sentiment de bonheur tranquille, comme tous les jours accoudé au même endroit, il contempla la ville. Il suivit la cime des montagnes, au loin, et lorsque ses yeux retombèrent sur les rues familières, il sursauta : sans aucun doute, il venait de voir une silhouette pénétrer dans le seul immeuble terminé d'une artère où lui-même allait rarement, le cours Albert Kindjon. Le coeur battant d'inquiétude et de colère, il dévala les escaliers de la mairie, tourna à gauche derrière le musée, et après une course d'une centaine de mètres, s'immobilisa devant l'immeuble repéré. L'oreille aux aguets, il traversa doucement le hall. Pendant quelques secondes, il resta interdit, couvert de sueur, devant une boîte aux lettres monstrueuse : entre un " M. et Mme Noël Kindjon et leurs enfants", et un "Dr Kindjon, médecin généraliste", s'étalait l'étiquette sacrilège : "Isabelle Tessier". Affolé autant qu'incrédule, il monta au deuxième et frappa à une porte. Il n'en crut pas ses tympans lorsqu'il entendit des pas, il n'en crut pas sa rétine lorsqu'il vit la porte s'ouvrir sur un visage inconnu.

- Qui êtes-vous ? dit la jeune fille.

Albert Kindjon était si stupéfait, qu'il ne sut que répondre.

- Albert Kindjon.

- Alors ça ! s'exclama la jeune fille. Enfin quelqu'un de vivant ici ! Qu'est-ce qui se passe, dans cette ville ? J'ai jamais vu ça ! Entrez, je vous en prie...

Albert Kindjon promena ses yeux effarés sur l'appartement, comme s'il inventoriait les dégats. Elle avait tout déplacé, tout chamboulé.

- De... Depuis combien de temps êtes-vous ici ? balbutia-t-il.

- Depuis trois, quatre jours... je suis contente de vous voir. Je commençais à me demander... Pourquoi y a personne, dans ce bled ? Où sont partis tous les habitants ? Et pourquoi ils s'appellent tous Kindjon ?

- Vous avez changé les rideaux, répondit le visiteur.

- Oui, pourquoi ? Fallait pas ? Les autres étaient moches, je me suis servie dans l'appartement d'en face. Ce qu'il y a de bien, au moins ici, c'est qu'on se fait pas emmerder par les voisins. Alors, vous m'avez pas répondu. Vous le savez, ou pas ?

- Comment êtes-vous entrée ?

- Ici ? J'ai cassé la porte. Mais j'ai sonné avant. J'ai sonné partout d'ailleurs.

- Non, dans la ville.

- Ben... par la route, c'te question ! Faut dire que je me suis un peu perdue, c'est vrai, c'était la nuit... Les cartes et moi...

- Vous n'avez pas le droit d'être dans ma ville.

- Votre ville ? Elle est à vous ?

- Oui.

- Vous l'avez achetée ?

- non, je l'ai construite.

- tout seul ? Les rues ? Les maisons ? Les meubles ?

- Oui.

- Pas mal. Alors vous pouvez bien m'héberger quelques jours. C'est pas les chambres qui manquent. Je vous dérangerai pas. Et puis vous pourrez me la faire visiter, votre ville...

Elle était jolie, plutôt sympathique. Albert Kindjon hésita, puis accepta. Au début réticent, il finit par éprouver du plaisir à avoir un hôte. Il faut dire qu'il était heureux de voir sa ville servir pour quelqu'un, et qu'Isabelle ne ménageait pas ses compliments. Peu à peu, le frisson agréable qu'il ressentait lorsque cette étrangère empruntait les allées qu'il avait dessinées, parcourait les jardins qu'il avait conçus, occupait les bancs qu'il avait installés sur les places qu'il avait agencées, profitait de ses magasins, montait ses escaliers, se penchait par ses fenêtres, cette sensation devint une ivresse. Ivresse d'entendre l'invitée insister pour visiter tous les appartements de chaque immeubles, de la laisser traverser les plus secrètes extensions de sa personnalité, de l'écouter s'extasier sur la perfection des moindres détails.

- Mais comme architecte, t'es quand même pas une flèche, hein, sans vouloir te vexer. C'est un peu pompeux, lourdingue, comme style, tu trouves pas ? Et puis tes grandes rues droites...

- A moi, ça me va très bien... Un jour, comme ça, pour s'amuser, elle construsit une maison. Aux formes capricieuses et colorées, qui ne respectait même pas l'alignement, et contrevenait à toutes les règles d'urbanisme. Albert Kindjon, gêné, ne dit rien. Encouragée, elle en construsit une deuxième, puis une troisième, et toutes éclipsaient de leur vigoureux flamboiement les immeubles massifs et ternes.

- J'ai rien contre, disait Albert Kindjon mécontent, mais pourquoi ne pas les mettre à la périphérie ? Tu peux bien construire une ville à côté de la mienne si ça te chante, mais pas au milieu !

- Elles te plaisent pas, mes maisons ?

- Si ! Si ! Mais c'est quand même ma ville...

Depuis qu'Isabelle avait rebaptisé quelques rues, remodelé quelques places et érigé quelque nouveaux monuments, elle s'y retrouvait mieux, dans la ville. Albert, lui, ne s'y retrouvait plus. Un matin, au croisement du bouluvard Kindjon et de la rue Isabelle Tessier, il ne la vit pas traverser alors qu'il prenait un virage, et l'écrasa. Il en fut très triste et un peu en colère.

- Elle aurait pu faire attention, merde, alors ! Les passages cloutés, je les ai pas faits pour les chiens !

Il l'enterra au cimetière Kindjon, dans une tombe spécialement creusée pour elle. Les mots gravés "Isabelle Tessier" lui écorchaient encore l'oeil. Il songea à rajouter "épouse Kindjon", puis y renonça. Egopolis


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T
<br /> <br /> voilà une histoire qu' un peut facilement replacer dans d' autres contextes !<br /> <br /> <br /> le modernisme vaut 'il l' ancien, est on plus heureux dans le renouveau ?<br /> <br /> <br /> en tout cas, méfions nous des squatters !<br /> <br /> <br /> <br />
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