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la poubelle

Publié le par HITOYUME

Je me souviens de ce jour particulier.
Comme tous les matins ensoleillés, Rex et moi courions sur le sable, pieds et pattes goûtant à la fraîcheur du sable immaculé.
Ce jour-là, j'avais remarqué un gros objet au loin, incongru sur le sable blanc. Aucun rocher ne s'était jamais trouvé là. Nous nous rapprochâmes. A petites foulées pour moi, dans une longue cavalcade excitée en jappant bruyamment pour le labrador.
Lorsque je le rejoignis, Rex tournait comme un fou furieux autour d'une poubelle en fer-blanc, lui lançant de petits coups de pattes timides comme s'il s'était agi d'une méduse échouée. Seules ses empreintes, et les miennes maintenant, entouraient la poubelle.
- Regarde mon chien ! lui dis-je, indigné. Crois-tu qu'il y a des gens assez pervers pour avoir l'idée d'amener leurs poubelles ici !
- Wouf ! m'approuva Rex.
J'aurais pu passer mon chemin et laisser aux services municipaux la tâche de nettoyer la plage. Mais j'étais jeune alors, et fort. Je décidai de rendre la justice moi-même et de ramener le détritus à sa place, sur un trottoir.
Je me penchai et empoignai la poubelle. Je la soulevai. Rien.
Etonné par son poids apparent, je me baissai et m'arc-boutai sur le stupide objet, encouragé par Rex. La poubelle ne daigna pas se soulever d'un seul millimètre.
- Mais quel est l'abruti à qui il a pris envie de verser du plomb dans une poubelle ? grognai-je.
- Wouf ! renchérit Rex.
Qu'y avait-il donc là-dedans ? Je saisis le couvercle de la poubelle. Rien.
Je vérifiai que le couvercle n'était pas scellé. Non !
Un interstice visible où je pouvais glisser la lame de mon canif se distinguait sous le rebord. Je tentai de forcer sans succès, ce qui ne m'étonna plus guère.
- Mais qu'est-ce que c'est que ce truc ? grondai-je, franchement énervé cette fois. Rex, prudent, s'abstint d'en rajouter et alla goûter une algue un peu plus loin.
La poubelle, qui semblait faite de fer-blanc léger, se révélait aussi inamovible qu'une enclume. Etait-elle pleine ? Je toquai du doigt et elle résonna du tintement satisfaisant d'une poubelle de fer-blanc vide.
Et comme j'avais toqué, le couvercle se souleva. Tout seul. Tout doucement. Saisi, je reculai de deux pas. poussant le couvercle depuis l'intérieur, deux petites mains brunes apparurent. Puis le haut d'une tête, un petit visage rond encadré d'une chevelure sombre. Une petite fille japonaise se déplia gracieusement depuis la poubelle qui n'avait pas semblé assez grande pour la contenir. Elle posa le couvercle sur le sable à côté d'elle et s'inclina devant moi, ravissante dans un kimono lilas.
Une réfugiée clandestine ? Dans une poubelle scellée alors qu'elle semblait sortir d'un catalogue de vêtements d'enfants ? Allons donc...
La petite me dédia un charmant sourire où manquait une incisive, croisa les mains sur son coeur et me salua d'une voix grêle sans accent :
- Bonjour, étranger ! Je m'appelle Kimiko. Fais un voeux et je l'exaucerai.
Je restai les bras ballants, bouche bée devant l'apparition, incapable de formuler une pensée cohérente.
- Wouf ! Wouf ! intervint Rex.
- Que ton voeux soit exaucé ! lui répondit la petite fille.
Mais à qui parlait-elle ? Je n'avais rien dit. je jetai un regard interloqué au chien.
La petite fille se replia dans la poubelle tout aussi gracieusement qu'elle en était sortie et reposa le couvercle sur sa tête. Quelques instants plus tard, elle avait disparu. Aucune trace ne subsistait sur le sable.
J'aurais pu croire à une hallucination. je le crus quelques instants jusqu'à ce que je constate que Rex n'était plus là. Je le cherchai, je l'appelai une partie de la matinée.
Je posai des affiches le lendemain, offrant récompense pour le retour de mon chien. Il ne revint pas et, au bout d'une année, je le crus définitivement perdu.
Et puis, un jour, en accompagnant mon neveu au cinéma, je l'ai revu. Il s'appelait Roxy maintenant, ou tout du moins tel était le nom sous lequel figurait au générique. je le vis cabotiner dans quelques publicités, en train de se gaver de pâtée pour chien, l'air heureux. Satisfait. Comblé. j'appris dans un reportage qu'il était chien-vedette à Hollywood, célèbre pour son intelligence, sa capacité à endosser facilement n'importe quel rôle. Qu'il possédait un harem de six chiennes, sa toiletteuse personnelle, un garde du corps, un cuisinier et deux hommes n'ayant rien d'autre à faire de toute la journée que de lui lancer une baballe...
Je ne ferai aucune comparaison avec ce que je suis devenu aujourd'hui. Ni avec ce que j'aurais pu devenir si mes réflexes avaient été meilleurs. Je suis un homme, tout de même, pas une bête. je ne regrette certainement pas de n'être pas marié à six femmes. Enfin pas trop. Mais j'ai arrêté le jogging, c'est trop dangereux. Mes poubelles sont toutes en plastique, bleu et gris, le métal est anti-hygiénique. j'ai deux chats siamois. Et, maintenant, je hais les chiens.

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