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histoires a suivre

le prince des illusions (51)

Publié le par HITOYUME

le prince des illusions
51
(tiré des mémoires de Robert Houdin)

RESUME : le grand prestidigitateur français Robert Houdin a été chargé par son gouvernement d'une mission de confiance en Afrique du Nord. Il s'agit de combattre l'influence des sorciers arabes qu'on appelle "marabouts". A son arrivée, l'illusionniste est accueilli par Bou-Allem qui lui offre l'hospitalité...

Nous accueillîmes avec une grande satisfaction un  poulet rôti que l'on nous servit après le ragoût; je me chargeai de le découper, autrement dit de le dépecer avec mes doigts, et je le fis assez délicatement. Nous le trouvâmes tellement à notre goût qu'il n'en resta pas la moindre bribe.
Vinrent successivement d'autres mets, auxquels nous goûtâmes avec précaution, et dans le nombre, le fameux couscoussou, que je trouvai détestable. Enfin des friandises terminèrent le repas.
Nous avions les mains dans un triste état. Un Arabe nous apporta à chacun une cuvette et du savon pour nous laver.
Bou-Allem, après avoir également terminé cette opération et s'être de plus lavé la barbe avec beaucoup de soin, fit mousser son eau de savon, en prit plein sa main et s'en rinça la bouche.
Après le dîner, nous nous dirigeâmes vers un  autre corps de logis, et, chemin faisant, nous fûmes rejoints par un Arabe que Bou-Allem avait envoyé chercher.
Cet homme avait été longtemps domestique à Alger; il parlait très bien le français et devait nous servir d'interprète.
Nous entrâmes dans une petite pièce fort proprement décorée, dans laquelle il y avait deux divans.
- Voici, nous dit notre hôte, la chambre réservée pour les étrangers de distinction; tu peux te coucher quand tu voudras, mais si tu n'es pas fatigué, je te demanderai la permission de te présenter quelques notables de ma tribu, qui, ayant entendu parler de toi, veulent te voir.
- Faites-les venir, dis-je, après avoir consulté Mme Robert Houdin, nous les recevrons avec plaisir.
L'interprète sortit et ramena bientôt une douzaine de vieillards, parmi lesquels se trouvait un marabout. Le chef semblait avoir pour eux une grande déférence.
On s'accroupit en rond sur le tapis, et l'on entama sur mes séances d'Alger une conversation très animée. Cette sorte de société savante discutait sur la possibilité des prodiges racontés par le chef de la tribu, qui prenait un plaisir extrême à dépeindre ses impressions et celles de ses coreligionnaires à la vue des miracles que j'avais exécutés.
Chacun prêtait une grande attention à ces récits et me regardait avec une sorte de vénération. le marabout seul se montrait très sceptique, et prétendait que les spectateurs avaient été dupes de ce qu'il appelait une vision.
Dans l'intérêt de ma réputation de sorcier français, je dus faire devant l'incrédule quelques tours d'adresse comme spécimen de ceux de ma séance. J'eus le plaisir d'émerveiller mon auditoire; mais le marabout continua de ma faire une opposition systématique dont ses voisins étaient visiblement ennuyés. Le pauvre homme ne s'attendait guère au tour que je lui ménageais.
Mon antagoniste portait dans sa ceinture une montre dont la chaîne pendait au dehors.
Je crois déjà avoir fait part au lecteur d'un certain talent de société que je possède, et qui consiste à enlever une montre, une épingle, un portefeuille, avec une adresse dont plusieurs de mes amis ont maintes fois été les victimes.
J'enlevai donc au marabout sa montre en passant près de lui et je fis glisser à sa place une pièce de cinq francs.
Pour détourner les soupçons, et en attendant que j'utilisasse mon larcin, j'improvisai un tour. Après avoir escamoté le chapelet de Bou-Allem qu'il portait sur lui, je le fis passer dans une des nombreuses babouches laissées, selon l'usage, au seuil de la porte, par tous les assistants. Cette chaussure se trouva remplie de pièce de monnaie, et pour terminer cette petite scène d'une manière comique, je fis sortir des pièces de cinq francs du nez de tous les spectateurs. Chacun d'eux prenait tant de plaisir à cet exercice que c'était à n'en plus finir :
- Douros ! Douros ! me disaient-ils en se tirant le nez.
Je me prêtais volontiers à leurs désirs et les douros sortaient à mon commandement.
La joie était si grande que plusieurs des Arabes se roulaient par terre.
J'avais affecté de m'éloigner du marabout qui, comme je m'y attendais, était resté sérieux et impassible.
Quand le calme fut rétabli, mon rival se mit à parler avec vivacité à ses voisins, sans doute pour chercher à détruire leur illusion, et ne pouvant y parvenir, il s'adressa à moi par l'intermédiaire de l'interprète.
- Ce n'est pas moi que tu tromperais ainsi, me dit-il d'un air narquois.
- Pourquoi cela ?
- Parce que je ne crois pas à ton pouvoir.
- Ah ! vraiment. Eh bien ! si tu ne crois pas à mon pouvoir, je te forcerai bien de croire à mon adresse.
- Ni à l'un ni à l'autre.
J'étais à ce moment éloigné du marabout de toute la longueur de la chambre.
- Tiens, lui dis-je, tu vois cette pièce de cinq francs ?
- Oui.
- Ferme la main avec force, car la pièce va s'y rendre malgré toi.
- Je l'attends, fit l'Arabe d'un ton d'incrédulité, en avançant la main vigoureusement fermée.
Je pris la pièce du bout de mes doigts en la faisant bien remarquer par l'assemblée, puis feignant de l'envoyer vers le marabout, je la fis disparaître en disant :
- Passe !

A  SUIVRE

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