c'est comme j'vous l'dis

Impossible de parler d’autre chose. Comme tout le monde, je suis en état de stupéfaction depuis quelques jours, depuis que la Russie a déclaré la guerre à l’Ukraine, piétinant ainsi quelques décennies de paix en Europe, jetant encore toute une population martyrisée sur la route de l’exil, occultant absolument tout le reste (pandémie, élections présidentielles…). Comment ne pas en parler ?
– Oui, mais tu n’y connais rien en géopolitique, ma vieille.
– Comme la plupart des internautes qui s’expriment et se déchirent sur les réseaux sociaux, j’ai envie de dire. J’ai lu quelques pelletées d’articles quand même hein, depuis le début de ce bordel, et le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est pas simple. C’est jamais simple. On est loin du manichéisme à l’américaine, le bien contre le mal, les gentils contre les méchants. D’où la difficulté à émettre un avis raisonné, réaliste et documenté.
– Oui enfin, bon, y a quand même un pays guerrier envahisseur sous la coupe d’une sorte de dictateur tout-puissant, et un pays envahi, démocratique, qui n’a rien demandé à personne ! Donc à priori, c’est pas trop difficile de choisir un camp…
– Tu vois, tu parles de « camp ». Comme si c’était une compétition sportive. Comme si on était dans un film, choisis ton camp, celui du bien, de la démocratie, ou celui des démons agresseurs buveurs de vodka. Le pire, c’est que les deux « camps » sont frères ! Ils parlent quasiment la même langue, ils ont la même culture, et les agresseurs n’ont rien à reprocher aux agressés ! BIEN EVIDEMMENT que je suis pour l’Ukraine. Comment pourrait-il en être autrement ! Évidemment, que je suis empathique avec tous ces européens, qui pourraient être nous, qui n’auraient jamais cru possible de subir des bombardements comme lors de la seconde guerre mondiale ! Mais dire qu’on est contre la guerre, pour la démocratie, n’est-ce pas un peu enfoncer des portes ouvertes ?
– Les politiciens, les journalistes mainstream ne s’en privent pas pourtant.
– Précisément. Ça, ça m’agace. Comme à chaque fois qu’il y a du sang versé, les journalistes, dans une agitation fébrile et futile, répètent à l’envi « vous condamnez ? vous condamnez ? », comme des antibots ayant besoin d’une réponse positive pour déverrouiller la suite. « Vous condamnez (au choix : une invasion militaire, un acte terroriste meurtrier, la shoah, etc) ?? », imaginez alors qu’un des interrogés réponde « ah non, pas du tout, je pense qu’ils ont eu tout à fait raison de tuer, massacrer, bombarder, torturer, génocider (rayez les mentions inutiles) ». Inimaginable, n’est-ce pas ? Dès lors, puisque tout ceci est convenu, protocolaire, pourquoi passer par cette question obligatoire ?
– Tu chipotes. Tu préfèrerais qu’on n’en parle pas ? Qu’on passe les actes sanguinaires sous silence ? Bravo l’humaniste, hein !
– Mais non ! Pas du tout ! Mais je déplore en revanche, une ultra-simplification dans la manière de présenter les choses, je déplore qu’on se complaise dans l’émotionnel, et je déplore aussi une indignation à deux vitesses. Si la solidarité avec les ukrainiens coule de source, quid de celle envers toutes les autres victimes de la guerre ? Je veux dire, on déchire des tentes à Calais, et on en envoie des neuves en Pologne à destination des réfugiés ukrainiens. Il y a clairement des migrants qu’on est prêts à accueillir les bras ouverts, et d’autres qu’on rejetterait à la mer sans scrupules. Couleur de peau, religion ? Racisme, surtout. Il suffit d’écouter quelques éditorialistes pour en être convaincu : entre ceux qui estiment que c’est une bonne immigration qui sera profitable à la France, et ceux qui affirment que ces exilés-là, chrétiens, blancs et en bagnole, sont quand même pas comparables avec les bronzés musulmans qui nous arrivent en bateau, le racisme décomplexé s’exprime en toute liberté sur les chaînes de télé et ça me fiche la nausée.
– De toute façon, des exilés, il va y en avoir cent fois plus dans le futur. Y a un moment, il va bien falloir organiser les choses pour aider tous ces gens, tous les futurs déplacés climatiques, se barricader dans nos frontières comme le préconise l’extrême-droite, c’est juste impossible ! À moins de transformer le continent (et ses outre-mers !) en prison géante avec des murs de 10m surplombés de barbelés, ce qui est infaisable, et personnellement, je n’ai pas envie de vivre dans cette dystopie !
– Et il n’en est pas question évidemment, ce serait tellement débile. Il vaut mieux mettre des moyens dans l’accueil des exilés et dans la transition écologique que dans des milliers de km de béton armé hein, c’est autrement plus urgent ! D’autant que dans le fracas médiatique de la guerre, le dernier rapport du GIEC est passé inaperçu, et pourtant il nous prédit un avenir toujours plus cataclysmique !
– Et maintenant, en plus de tout ça, y a le risque de se prendre une bombe nucléaire sur la tronche !!
– Oui, enfin, Poutine ne fera pas ça, c’est un tyran, certes, mais j’imagine qu’il n’est pas fêlé du bulbe au point de vouloir l’éradication des européens en attaquant un pays membre de l’OTAN. Enfin, j’espère…
– Ah ouais, donc, l’Ukraine n’en faisant pas partie, il l’attaque, et on laisse faire sous prétexte que quoi, d’abord ? Qu’il nous fait peur ?
– Non. Sous prétexte d’éviter l’escalade de la violence, qui pourrait se solder par une guerre mondiale. C’est ça qu’il faut absolument, absolument éviter. En ce sens, les sanctions économiques, les confiscations des avoirs des milliardaires russes sont encore les meilleures choses qu’il y avait à faire (même si, malheureusement, à cause des sanctions, le peuple russe va douiller alors qu’il n’y est pour rien dans les décisions folles de son dictateur…). Par contre, quand je vois Ursula Von Der Leyen nous apprendre que l’Europe a envoyé des armes à l’Ukraine, ça me fiche les jetons (même si bien sûr, je comprends). La situation est explosive, et envoyer des armes offensives peut être perçu par le régime Russe comme une provocation à la guerre totale. En plus la plupart de ces armes vont finir dans leurs mains, c’est évident.
– Voilà, donc, toi, tu dis qu’il faut laisser faire, ne pas aider les Ukrainiens, laisser la dictature écraser la démocratie ?
– Bien sûr qu’il faut les aider !! En les accueillant, en leur apportant de l’aide alimentaire, des médicaments, en les soutenant de toutes les manières possibles, en leur fournissant des équipements de défense… Mais j’ai peur que les armes fassent de nous des belligérants, prenant une part dans cette guerre, au risque de la voir s’étendre. C’est hyper délicat, mais il faut tout faire pour la désescalade, pour éviter un embrasement mondial, et en même temps, comment rester insensible à ce qu’il se passe ?? C’est comme dans toutes les guerres : il y a des intérêts économiques, des ressources, il y a un pouvoir autoritaire qui a franchi la ligne rouge de l’entente entre les pays, et surtout, surtout, loin des histoires de profits, il y a tout un peuple qui souffre, des gens qui n’ont rien demandé, des gens dont la vie est totalement bouleversée, voire bousillée, voire supprimée, et c’est bien ça le plus révoltant. Une guerre, c’est TOUJOURS les populations qui trinquent. Cela dit, je place tous mes espoirs dans quelques scénettes surprises de-ci-delà, et qui me semblent répondre si justement à cette situation, si seulement la guerre pouvait prendre cette direction : Ici, un soldat russe, frigorifié, affamé, éclate en sanglot au milieu d’un groupe d’ukrainiens bienveillants, qui lui donnent à manger, du thé chaud, et des paroles réconfortantes. Là, des prisonniers russes, les autorités ukrainiennes qui les détiennent passent un appel destiné aux mamans des prisonniers : si elles viennent chercher leurs fils, ils les laisseront partir. Je trouve que ces réactions sont magnifiques, si seulement les mains tendues pouvaient remplacer les coups de poing dans la gueule, si seulement les soldats de Poutine pouvaient réaliser qu’ils ne sont pas obligés d’attaquer leurs voisins, leurs amis, juste parce que leur taré de président l’a ordonné !…
– T’as conscience que ces vidéos auxquelles tu fais référence s’inscrivent dans la propagande ukrainienne ?
– Oui, peut-être, vu que de toute façon, tout est propagande en temps de guerre. Mais, moi, de la propagande comme ça, qui promeut l’entente plutôt que la haine, je trouve ça plutôt bien !
– Mais, t’as pas peur, toi ? Avec le destin de l’Europe dans les mains d’UN SEUL type détenteur de la première force nucléaire mondiale, et dont personne ne peut prédire les réactions ??
– Si, je suis terrifié…