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c'est pas d'moi

doberman

Publié le par HITOYUME

Image and video hosting by TinyPic Image and video hosting by TinyPic nouvelle écrite par Serge Dhont

 

Un soleil éclatant dispensait généreusement sa chaleur et colorait l'avenue bordée de cerisiers du Japon. Les fleurs roses en pleine apogée de leur croissance donnaient une allure féerique au paysage si anodin d'accoutumée. Je respirais à pleins poumons l'air pur de cette extraordinaire fin de matinée, une odeur agréable de gazon fraîchement coupé me titillait les narines. Le printemps, quelle saison!

Le fumet de la viande grillant sur un barbecue, le rire des gosses s'éclaboussant dans les piscines et au loin, le faible chant d'un engoulevent. Tous mes sens étaient en éveil. 

Instinctivement, mon être s'exaltait face à ces petites choses si courantes mais qui pourtant vous mettent de la joie au coeur et respirent un véritable bonheur de vivre. Il n'y a rien de plus beau que de se sentir vivant...

Mon gamin m'accompagnait pour cette ballade dominicale. La main dans la main, nous profitions pleinement de cette douce euphorie qui nous cernait de toutes parts.

Nous n'avions pas fait 500 mètres que machinalement, nous nous arrêtâmes devant une immense maison de style colonial anglais du 19ième siècle. Le jardin qui l'entourait était tout aussi impressionnant. Mais ce qui frappait l’oeil du badaud, c'était le haut degré de vétusté de la bâtisse ainsi que la manière anarchique dont la végétation avait proliféré. Tout semblait livré à l'abandon.

Une grande pancarte peinturlurée de lettres d'un orange délavé trônait devant l'imposant grillage d'entrée:

 

A VENDRE.

 

Mon fils me regardait en souriant, on pouvait lire dans ses grands yeux gris tout l'amour et la confiance qu'un gosse éprouve pour son père, ce demi-dieu qui sait tout...

Je savais à peu près ce qu'il voulait de moi et il était temps, cette fois de lui répondre par l'affirmative.

- Papa ?

- Oui, Youri ?

- Tu m'as toujours promis que quand je serais grand, tu me raconterais l'histoire d'oncle Amos et de sa maison. J'aurai 11 ans en janvier, je t'en prie papa, raconte...

Je discernais un apitoiement feint dans son regard. Lui souriant, je lui lançais une légère bourrade, un fou rire et une pseudo bagarre s'engageaient entre nous. Puis, je le pris dans mes bras et le serrais très fort.

- D'accord bonhomme, je vais te raconter l'histoire d'Amos Tooms et tu comprendras enfin pourquoi au bout de cinq ans on ne parvient toujours pas à vendre cette bicoque. 

La nervosité me gagnait peu à peu, je me passais la langue sur les lèvres, elles étaient sèches.

- Ce n'est pas une partie très joyeuse de mon existence, je te préviens. C'est pour cela qu'il fallait attendre que tu aies atteint un âge raisonnable pour te relater les faits qui se sont déroulés en cette année pourrie de 1981...

Je m'asseyais alors contre un arbre en prenant Youri à mes côtés. J'avais du mal à démarrer mon histoire, ne sachant par où commencer. Tout à coup, tel une illumination, l'entièreté de cette épopée me revint en mémoire.

- A la mort de ton oncle, il y a six ans, cette aventure était presque oubliée pour moi, mais toujours tapie dans les tréfonds de mon subconscient. Le jour de son enterrement, elle a resurgi sans crier gare, comme un diable sort de sa boîte. J'étais un peu plus jeune que toi quand cette affaire a eu lieu et j'y ai été directement impliqué.

Je réajustais ma position assise quelque peu inconfortable à même le sol. La maison était là, face à moi. J'avais l'impression que sa façade colossale tentait de m'avaler, de m'écraser sous sa masse. Un frisson me parcouru l'échine malgré la chaleur ambiante. 

Je là contemplais à nouveau, pensif, et puis les mots vinrent tout seul, comme une rivière fait sa route dans son lit, mais un lit pierreux et torturé par les méandres.

- Avant tout, il faut que je te précise que notre homme était un peu original dans son genre, il avait un goût prononcé pour les vieilles choses, les antiquités plus particulièrement. Il était capable de quitter la ville des semaines, et tout cela pour une statuette perdue dans le fin fond de la Gambie ou pour un maigre morceau de céramique enfoui quelque part en Egypte. Quand il partait, c'était moi le préposé à la nourriture de ses deux chiens, des Dobermans. Ces magnifiques bêtes étaient spécialement dressées pour garder la demeure, d'ailleurs il n'y avait aucun système d'alarme installé.

- " La présence des bêtes suffit!" , avait l'habitude de sermonner oncle Amos, il ne croyait pas si bien dire...

- Au moment des faits, il devait s'absenter quatre semaines pour le Perou, et moi je nourrissais les molosses. Nous étions en plein mois d'août 1981. Le travail était d'une grande simplicité, il me suffisait d'apporter chaque matin et après-midi, deux gamelles de viande mélangé à du riz ainsi que deux énormes bols en plastique rempli d'eau bien fraîche. Je glissais le tout précautionneusement sous la grille.

- " Ne jamais tenter de pénétrer dans le parc!" , me disait le vieux Tooms péremptoirement. 

J'allumais une cigarette, je savais pertinemment bien que ce n'était pas un exemple pour mon fils, mais le pire de cette histoire arrivait à grands pas et je ne pu m'en empêcher. Je tirai deux ou trois grosses bouffées.

- Pendant les quatre premiers jours il n'y eut aucun problème, les deux chiens venaient engloutir leur pitance pour reprendre ensuite leur ronde habituelle. C'est le matin du cinquième jour qu'une chose étrange se passa, seul un des chiens venait manger: la femelle Laïka. Je me disais à ce moment que l'autre bête devait être en train de pourchasser un chat ou de débusquer un lapin. Mais cette situation me semblait vraiment bizarre car aucun ne manquait jamais à l'appel de la pâtée. Je n'en parlai pas à mon père car il avait, à l'époque, assez de problèmes avec son boulot. Je ne pouvais pas me permettre de l'ennuyer avec des histoires pareilles.

Ce jour là, c'est vers quatorze heures que j'apportais la deuxième ration, et quelle ne fut pas ma surprise de constater que cette fois, c'était l'autre chien qui venait manger: le mâle Boris! Ces événements commençaient à m'inquiéter mais je m'abstenais encore de le signaler à tes grands-parents, les coïncidences existent bel et bien aussi. Et puis je me disais que demain serait un autre jour..., normal cette fois...

Je pinçai légèrement l'épaule de mon fils.

- A ton avis gamin, qu'est-il arrivé le lendemain ?

Je l'observais avec un sourire en coin.

- Je parie que c'est Laïka qui était là pour manger ce coup-ci !

- Exact Youri ! Laïka, sans Boris, et après-midi c'était à nouveau le contraire ! Mais pourquoi ?

Mon fils fit une moue dubitative.

- J'attendais alors que papa rentre du bureau et je lui racontais tout. Il fronça les sourcils comme il avait l'habitude de faire lorsqu'il était contrarié. Il se saisit alors d'un carnet noir qui prenait les poussières dans un tiroir et dans lequel il notait les numéros importants. Oncle Tooms avait laissé le sien, celui de son hôtel à Lima. Personne ne répondit. Mon père raccrocha en grommelant mais il fut plus heureux en fin de soirée. Le vieux Tooms était là et je pense que la conversation téléphonique s'est déroulée à peu près comme ceci :

- Amos ?

- Oui ? Pas de mauvaises nouvelles j'espère ?

- Peut-être que oui, peut-être que non.

- Mais explique-toi bon sang! Que signifie cette réponse de Normand !

- Et ton grand-père expliqua le petit manège des chiens. Oncle Tooms lui ordonna de prévenir immédiatement les forces de l'ordre toute affaire cessante, quelque chose de grave se passait certainement. Il connaissait parfaitement ses bêtes.

Je tirai une dernière fois longuement sur mon mégot finissant et l'écrasait soigneusement dans l'herbe. Mon fils était suspendu à mes lèvres. 

- La police arriva vers 21 heures le soir mais Boris empêchait quiconque de pénétrer. Même papa et moi n'aurions pu entrer dans la propriété de ton défunt oncle. Les hommes en uniforme durent faire demi tour pour revenir un instant plus tard avec un fusil à seringues hypodermiques. Il faisait nuit à ce moment et la lune était pleine. Elle donnait un aspect cadavérique à chacun de nos visages. La lumière des gyrophares bleus et rouges représentait la scène d'une manière apocalyptique. Tous les ingrédients étaient réunis pour assister au drame parfait. Un des policiers épaula et tira en plein dans le flanc gauche du Doberman mâle, il s'endormit profondément quelques minutes plus tard.

Mon père et moi pénétrâmes dans la propriété d'oncle Tooms avec les hommes de loi. Ton grand-père avait tellement les nerfs à vif qu'il ne me remarqua même pas, autrement il m'aurait renvoyé illico auprès de maman.

La traversée de l'immense parc fut des plus éprouvante nerveusement, nous nous demandions tous où pouvait être cette autre saloperie de chien !

Nous atteignîmes quand même la porte d'entrée sans problème. Papa avait un double et il ouvrit...

Les cinq policiers et nous même progressâmes en silence au rez-de-chaussée. Nous avions prit garde de ne pas allumer, à cet instant tout pouvait arriver. Seules les lampes torches nous guidaient, ajoutant à l'ambiance une petite touche lovecraftienne.

Apparemment les pièces du bas étaient vides mais la porte arrière semblait avoir été fracturée.

- Des cambrioleurs ! Lançait à voix basse un des hommes.

- Ce n'est pas impossible, répondit mon père avec la même discrétion.

Il nous restait à explorer le premier étage avec les chambres, la salle de billard et la bibliothèque. L'enfer quoi...

Le policier le plus aguerri passa en tête avec son revolver au poing et attaqua les premières marches de l'escalier. La quatrième marche craqua fortement...

C'est alors que des cris pitoyables et étouffés parvinrent d'une des chambres à coucher.

- Au secours, au secours !

Nous grimpâmes quatre à quatre, le premier policier se ruait dans la pièce et abattait Laïka d'une balle en pleine tête. J'enclenchais l'interrupteur et c'est seulement là que tout le monde remarqua ma présence. Mais il y avait quelque chose de bien plus remarquable dans cette chambre.

Sur le sol gisait un gamin d'une quinzaine d'années, les chiens l'avaient égorgé et à moitié dévoré, l'odeur était insoutenable... 

Un deuxième adolescent se trouvait couché sur la garde-robe, il était vivant mais dans quel état! Affamé, quasi déshydraté. De peur, le bougre avait uriné et déféqué sur lui.

J'avais enfin compris le mystère des molosses et des gamelles, ils surveillaient ce malheureux à tour de rôle, en attendant qu'il descende de son perchoir !

Mais quelles nuits ce gamin avait du passer! Deux jeunes délinquants qui voulaient simplement pénétrer par effraction pour se payer une petite frayeur, vider quelques canettes et se fumer une clope ou deux... 

Et voilà l'histoire d'Amos Tooms, mon garçon.

J'allumai une autre cigarette, mon estomac me rappela à l'ordre: l'heure du dîner approchait.

Je repris la main de mon fils pour le chemin du retour. Au loin, on pouvait entendre les faibles aboiements d'un chien.

Je frissonnai à nouveau...

 

 

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