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c'est pas d'moi

un bouquet de violettes

Publié le par HITOYUME

Image and video hosting by TinyPic Image and video hosting by TinyPic un bouquet de violettes nouvelle écrite par Sterpi

 

J’avais un grand-oncle qui se prénommait Archibald. On l’appelait oncl’Archibald, en référence à une chanson de Brassens, dont il était un fervent admirateur. Il était agriculteur et passionné de chevaux. Il adorait les bêtes, et s’il cultivait la terre, il ne pratiquait, en revanche, pas l’élevage et le commerce du bétail ; il lui aurait été trop pénible d’abattre un animal ou de s’en séparer au moment de le vendre. Quelle mauvaise disposition pour un fermier que d’être trop sensible. Ce dont il raffolait par-dessus tout, c’étaient les promenades équestres du dimanche après-midi en famille. Oncl’Archibald était le père de deux garçons, des jumeaux ; mes cousins Hector et Théophile. Nous avions le même âge. Je passais souvent mes vacances en leur compagnie lorsque j’étais plus jeune. Ma tante par alliance, Simone, était toujours ravie de préparer une chambre a mon intention dans la fermette, quand mes parents m’autorisaient à y rester dormir. J’habitais à moins d’un kilomètre de leur village, dans les environs de Toulouse. Hector, Théophile et moi-même étions comme trois frères inséparables. Eté comme hiver, nous passions le plus clair de notre temps à effectuer les travaux agricoles que nous confiait oncl’Archibald ou tante Simone. A l’adolescence, il arrivait souvent que nous nous rejoignîmes durant la nuit, à l’insu de nos parents. Lors de nos escapades nocturnes, nous nous sentions libres comme l’air, et nous divaguions à travers la campagne endormie en levant nos yeux au ciel saupoudré d’étoiles. Dans ces moments là, nous étions transportés par une joie innocente, animés par une fébrile énergie que nous attisions à tour de bras et de rôles lorsqu’elle se tempérait ; il y en avait toujours un pour entraîner les autres. Hector était sans nul doute le plus téméraire de nous trois, et Théophile le plus pusillanime ; souvent les jumeaux, en dépit de leur similarité physique, se trouvent être très différents sur le plan caractériel. Nous partagions tous nos secrets, et les deux frères en avaient un en commun. Du moins, s’il ne s’agissait pas d’un secret, c’était une chose dont ils n’avaient encore parlée à personne. Une de ces nuits, chacun avait apporté de quoi grignoter et de quoi boire. Nous avions fait un feu autour duquel nous nous installâmes pour bavarder et échanger nos visions sur le monde. Le cheminement de l’une de nos conversations nous amena à parler de la singularité des rêves. Mes cousins me racontèrent que chaque nuit, lorsqu’ils fermaient les yeux avant de s’endormir, la première image qu’ils voyaient était toujours la même : un bouquet de violettes. Ce surgissement systématique et inexpliqué durait quelques secondes, puis se fondait dans un rêve qui prenait le relais ; comme si l’image du bouquet de violettes était la base de tous leurs songes, comme si elle en était la trame de fond. Je n’avais jusqu’à lors, jamais fait attention à ce que mon esprit me suggérait quand je fermais les yeux après m’être mis au lit ; mais depuis, je n’ai jamais cessé d’y penser. Je me suis aperçu qu’effectivement, mes cycles oniriques débutaient toujours par une même image, qu’à l’époque, je ne parvenais pas à discerner suffisamment pour pouvoir la décrire. Hector et Théophile distinguaient parfaitement le tableau qui leur était commun. Ils me décrivirent le bouquet de violettes en me donnant moult détails. Ce qui m’étonna, ce n’était pas tant le fait qu’ils aient chaque soir la même vision, mais plutôt qu’ils prétendaient l’avoir simultanément, cela avait-il quelque chose de génétique ? Comme je ne m’expliquais pas cette étrangeté, je mis leur parole en doute. Je les soupçonnais de vouloir m’exclure, de vouloir me tenir à l’écart de leur intimité en me faisant croire qu’il existait entre eux un lien exclusif, télépathique, inaccessible à ma condition de simple cousin. Ce sentiment de jalousie enfantine, me paraissait légitime et justifié. J’aurais préféré qu’il le fût, car, ce qui arriva quelques jours plus tard me fit envisager la vie sous un aspect terrifiant. Ils ne mentaient pas. Et j’ose à peine croire à la conclusion logique qu’il me fallut tirer de ce triste événement. Un dimanche après-midi, lors de la rituelle balade équestre tant prisée par l’oncl’Archibald, Hector et Théophile faussèrent compagnie à leurs parents. Ils s’éclipsèrent discrètement pour s’en aller faire galoper leurs montures par delà les chemins forestiers. Au bout d’un moment, leur trajectoire déboucha sur une immense plantation de… Violettes, la culture de ces fleurs étant très courante dans notre région. Là, se trouvait une jeune fille, illicitement affairée à confectionner un bouquet de ces guirlandes odorantes. Elle faisait entrer chaque tige coupée dans la boucle d’un ruban rouge qui maintenait les violacées en une botte fournie. Elle tournait le dos aux deux cavaliers qu’elle n’entendit pas arriver. Malicieusement, Hector fit avancer son cheval sans bruit. Une fois à la hauteur de la maraudeuse, et sans qu’il ait pu le contrôler, son animal s’emballa, il se dressa sur ses pattes postérieures en poussant un long hennissement inexplicable. Alarmée, la jeune fille prit ses jambes à son cou. Après avoir repris le contrôle de son pur-sang, mon cousin resta un instant interdit. Lorsque enfin, il se ressaisit, la fuyarde affolée était déjà dans le champs voisin, une prairie d’herbe rase. Elle continuait de s’éloigner à grandes enjambés. Hector mit son cheval au galop et la héla : « Eh ! Mam’zelle ! Revenez ! On veut pas vous faire de mal, on voulait pas vous faire peur ! Hep ! Attendez ! Attendez ! Mam’zelle ! » Il décida de la prendre à revers, il la dépassa en décrivant une grande boucle, de manière à lui faire face. Théophile, qui n’avait pas bougé, observait la scène en béant. Il vit la jeune fille bifurquer pour éviter sa rencontre avec Hector. Il la vit lâcher son bouquet de violettes. A ce moment, il précipita son étalon pour aller ramasser les fleurs dans l’intention de les lui rendre, comme un héros au coeur tendre qui vole au secours de la jeune princesse tourmentée. Hector eut la même idée au même moment. Les jumeaux, face à face, éperonnèrent leurs bêtes, pour atteindre l’un avant l’autre le bouquet gisant à terre. Ils oublièrent une seconde leur fraternité pour s’adonner à ce duel puéril dont les règles étaient tacitement entendues de part et d’autre. Ce serait à celui qui parviendrait à se saisir des fleurs sans ralentir sa course et sans descendre du cheval. La jeune fille, à bout de souffle, se retourna pour se rendre compte, elle s’arrêta et assista à l’inévitable drame. Les deux cavaliers, lancés comme des fous furieux en direction de leur objectif, s’en approchaient à une vitesse vertigineuse sans se regarder. Leurs yeux étaient infailliblement rivés sur le bouquet de violettes enserré de cet obsédant ruban rouge quand ils se percutèrent de plein fouet. Leurs têtes éclatèrent l’une contre l’autre comme deux comètes. Hormis la profonde tristesse qui m’accabla durant de longues années, je frémis de terreur, encore aujourd’hui, en pensant à la dernière image qu’ils virent avant de fermer les yeux pour la dernière fois. Cette image serait donc celle de la fin ? L’ultime vision que nous gardons du monde avant de le quitter ? J’en ai bien peur. Et je tremble même en osant affirmer que cette image devient de plus en plus nette au fur et à mesure qu’approche notre fin. Chaque nuit, je la perçois de mieux en mieux ; et aujourd’hui, je suis à même de la décrire dans ses moindres détails. Pour mes cousins c’était un bouquet de violettes, pour moi, c’est le visage d’une femme qui sourit. Je ne la connais pas, mais je ne vais sans doute plus tarder à la rencontrer ; peut-être dans la rue, peut-être ailleurs… J’ai peur, peur de l’apercevoir au détour d’une rue, en regardant par la fenêtre, ou en allumant mon téléviseur. Elle peut surgir n’importe quand ! Sait-elle que son visage est pour moi celui de la mort ? De nuit en nuit, son sourire s’intensifie, je sens qu’elle va bientôt se manifester… Et vous, que voyez-vous lorsque vous fermez les yeux pour vous endormir ? Rien ? ! C’est flou ? ! Patience, ça viendra. Tout devient plus clair avec le temps, quand approche la fin…

 

 

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