l'essentiel oublie

La commercialisation, la vente ou le troc est un aspect essentiel des habitudes sociales de la nature humaine. Il suffit d’observer le succès de son implantation sur toute la planète pour comprendre qu’il doit se baser sur quelque chose de très solide, sur quelque chose de fondamental, inscrit dans nos codes les plus élémentaires. Faire du commerce, c’est en définitif, une réponse à la loi naturelle de l’équilibre, celle-là même qu’on appelle  en physique «la loi des vases communicants ». Mais avant tout, l’échange est une activité essentiellement mercurienne. Mercure, le dieu aux pieds ailés, le dieu de la communication et du verbe, se déplaçait (tout comme la planète qui reçut son nom) à grande vitesse, portant des messages d’un côté à l’autre. Car lorsque l’on voyage, on découvre rapidement que ce qui d’un côté abonde est généralement peu valorisé car très fréquent, tandis que là où cela manque, il est nécessairement très apprécié … il suffit de l’échanger et d’être capable de l’amener d’un côté à l’autre. La valeur ajoutée d’une telle gestion est la base du commerce.
Dans le langage ésotérique et crypté des alchimistes, on qualifiait de «mercuriens » les éléments capables d’agir comme des principes transporteurs d’informations d’autres éléments de la nature plus actifs ou réactifs, mais incapables de se déplacer d’eux-mêmes. Cette fonction permettait l’échange et l’enrichissement de la matière de plus en plus complexes. Sans le mercurien, la vie, telle que nous la concevons, serait impossible.
Les anciens pères de notre culture, les Grecs et les Romains, comprirent rapidement l’essence de ces forces et leur accordèrent un lieu privilégié dans Olympe. Pallas Athéna, la déesse Minerve, la guerrière sage et tempérée née de la tête de Zeus, fut, de fait, la gardienne des commerçants et également la protectrice de la connaissance, des entreprises, du goût pour le travail et du commerce. Sa figure est née probablement dans une grande mesure de la contagion des formes et des moyens phéniciens et de leurs dieux, car les hommes les ont toujours créés à leur mesure.
L’air, celui qui gonflait les voiles des voyageurs, a toujours été l’élément qui a le mieux représenté la nature de Mercure. Les pensées, toujours plus rapides que les actions sont également restées sous sa régence. Et bien sûr les lettres, l’écriture, la communication, la poésie se trouvent sous la domination (de « domus »=maison) de ce même dieu et participent de cette même essence changeante, modulée, imprévisible et curieuse.
On n’apprécie pas  cependant de la même manière cette inclinaison dans toutes les cultures. Celles qui sont plus fermées à la différence ont toujours partagé deux tendances antagoniques au mercurien. Isolement et in communication ont toujours coïncidé avec la basse intensité des activités commerciales. Le rejet de celles-ci a trop souvent créé une sous culture qui rejette tout ce qui représente ou symbolise le principe.
J’ai remarqué que dans le contexte martial, on ne comprend pas toujours bien ce sujet. Certains de ses éléments plus traditionnels s’appuient sur un sentiment probablement hérité de la caste samurai (pas essentiellement différente de ce qui se produisit avec les seigneurs féodaux du Moyen Age européen et leur rejet du «vil métal »), une coutume qui, dans les deux cas, accéléra leur déclin et celui de leur ère. L’arrogance qui soutenait de telles positions a su survivre, enkystée dans de nombreux rituels, et certains de leurs principes les plus sublimes, comme le détachement, ont été cependant mal compris et tergiversés.
On comprend que les aspects négatifs du commerçant, l’usure, le profit au-delà de la limite renouvelable (saigner à blanc), gagner (mais toujours à partir de ce que l’autre perde) ou n’importe quelle forme d’abus, d’opportunisme ou de spéculation trompeuse, soient des attitudes méprisables, mais on ne peut juger une activité, un principe ou un élément seulement par ses aspects obscurs ou négatifs. Même l’élément feu se sauve de ce brûlage ! Le feu peut détruire, consumer, anéantir, mais également chauffer, transformer, sublimer et nettoyer pour que la vie se renouvelle.
Il est vrai que beaucoup de personnes de l’environnement martial ont de mauvaises relations avec le commerce de leurs activités et vivent dans un état de contradiction perpétuel entre leur désir de remplir leurs classes et celui de vivre aimablement et de prospérer dans l’exercice de leur activité favorite. Une telle friction se manifeste souvent par des attaques de «purisme ». Ils ont beaucoup de mal à comprendre l’aspect positif de l’énergie mercurienne et préfèrent s’en remettre aux mains de Mars, plutôt que de succomber au charme tempéré d’Athéna. C’est, d’après moi, l’une des principales raisons de l’extinction de nombreux savoirs sages et anciens, d’écoles et d’arts, qui ont succombés  à leur propre entropie et sont morts d’épuisement dans leur in communication, auto censure, purisme et confidentialité.
Pour terminer mon article, je peux vous dire qu’il n’y a aucune contradiction entre vivre en faisant ce que vous aimez, prospérer, gagner de l’argent et suivre votre voie. Une fois de plus, la réponse n’est pas tant dans l’avoir (ou le non avoir) que dans l’être. L’image ascétique du moine guerrier est un archétype qui peut tout autant attraper et subjuguer l’esprit, stimuler l’importance personnelle et l’arrogance ainsi que le contraire. Le guerrier prend toujours la responsabilité de ses propres actes. Les affaires, non pas comme une négation du loisir, mais comme un échange créatif avec un sens adéquat du juste, de l’opportunité (synchronie) face à l’opportunisme, de la production face à la spéculation, de l’échange ingénieux qui enrichit les deux parties, sans tromperies, ni abus, sont une manière noble de passer par ce monde, en prenant le nécessaire pour réaliser vos rêves en tant que personne et pratiquant d’arts martiaux. Savoir concilier ces deux mondes qui ne sont qu’un exige seulement de savoir voir les choses avec perspective.
Tout dans la nature a besoin de mercurien pour exister. Remplissez scrupuleusement vos obligations. Il suffit seulement de le faire impeccablement.