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les enquetes de gustave cherchebien

charité bien ordonnée

Publié le par HITOYUME

Les enquêtes de

Gustave CHERCHEBIEN


A travers les cris de Lucie, Guy entendait les sirènes du SAMU et des voitures de police. Malgré la douleur lancinante, il sentait une immense vague de sérénité l’envahir. Il avait enfin rompu la chaîne. Ce n’était pas pour lui qu’il l’avait fait. Pour lui-même, il n’aurait jamais osé. Il l’avait fait pour Paul, pour que le scénario infernal ne se reproduise pas. A présent, il savait qu’il aurait tous les courages car, d’un seul geste, il venait de gagner la liberté de son fils.
Lorsque Guy se rappelait son premier bon souvenir, évidemment, c’était son premier Noël. Mais, bizarrement, s’il devait évoquer son premier mauvais souvenir, c’était aussi son premier Noël.
Sa mémoire lui renvoyait tout, très clairement, comme un film. Cette année-là, Carol, la sœur de son père, était venue du Canada pour passer les fêtes en France. Elle avait apporté plein de cadeaux merveilleux, Guy n’en croyait pas ses yeux. C’était ses premiers cadeaux, ses premiers jouets. Malheureusement, dès le départ de Tante Carol, sa mère avait confisqué toutes ces futilités. Chez eux, ils avaient la chance d’avoir la santé, une famille, un toit. Les jouets étaient superflus. On les avait distribués aux enfants de l’orphelinat. Eux
n’avaient rien, ils méritaient une compensation. Guy avait beaucoup pleuré. Il avait quatre ans.
Plus tard, il y eut l’école. La famille était aisée mais on devait se montrer modeste, sa mère avait donc opté pour l’école communale. Bien sûr, si on devait se montrer modeste, on devait aussi se montrer digne... Donc, pas question de revêtir le genre de survêtements bariolés qu’arboraient les autres enfants. Guy avait eu droit à son premier costume gris.
A l’école, c’était un enfant sage et attentif. Le soir ou le mercredi, alors que ses petits camarades s’amusaient dans les jardins publics, il étudiait dans sa chambre. Sans difficulté, il se retrouva en tête de sa classe.
Le jour de la remise des prix, sa mère qui préparait une vente de charité ne put pas assister à la fête. Il en éprouva une petite déception qui fut, malgré tout, compensée par la fierté éprouvée, le soir venu, à lui présenter son prix d’excellence. C’était un bel ouvrage décoré d’enluminures chatoyantes. Sa mère lui expliqua gravement que le terme de « prix d’excellence » était pompeux et prétentieux. Dans leur famille, on se devait d’être assez modeste pour ne pas essayer de surpasser les autres à tout prix. Le beau livre, quant à lui, servit de lot à la vente de charité.
Les années suivantes, Guy s’organisa pour être troisième ou quatrième de sa classe. Sa mère s’en trouva satisfaite et les jours s’écoulèrent paisibles, sans grande joie ni grand chagrin.
Sans grande joie, jusqu’à ce soir de mai où, en rentrant de l’école, il eut la surprise d’être accueilli par les joyeux jappements d’un petit labrador. Ce jour-là, Guy découvrit la chaleur d’une affection partagée, il découvrit l’amitié.

Un soir, lorsqu’il rentra de l’école, le chien avait disparu. Il l’avait ignoré, mais cet ami ne lui était pas destiné. Sa mère s’était chargée de l’éduquer pour en faire un chien d’aveugles. Guy pleura beaucoup. Sa mère lui démontra son égoïsme. Comment osait-il se lamenter alors qu’il aurait dû se réjouir que le chien puisse être utile à quelqu’un qui n’avait pas la vue ? Lui, il possédait tout : la santé, un toit, une famille. Il devait apprendre à faire preuve de générosité. Il en était grand temps, il venait d’avoir dix ans !
L’année suivante, il entra au lycée. C’est là qu’il rencontra son premier vrai copain. Stéphane l’acceptait tel qu’il était, sans a priori envers ses costumes gris qui jusque-là lui avaient attiré tant de moqueries. Quand ils furent conviés à leur première « surprise-partie », son ami lui prêta des vêtements appropriés. Quel plaisir d’enfiler un jean et de troquer ses chaussures de ville contre une paire de baskets !
Comment sa mère l’apprit-elle ? Mystère... Quoiqu’il en soit, dès le lendemain il fut conduit dans un pensionnat très strict. En le quittant, son père, les larmes aux yeux, le serra une dernière fois contre son cœur. Il ne revit jamais cet homme doux et sans volonté qui devait mourir d’un infarctus avant la fin de l’année scolaire.
Les années passèrent. Quand il en eut l’âge, sa mère l’inscrivit à la faculté de droit. C’est là qu’il rencontra l’amour, sous les traits de Sandra. Elle était belle et toujours gaie. Ils s’aimaient tant qu’ils décidèrent de se marier. Présentée à sa mère, la jeune fille fut jugée frivole et indigne de leur famille. Elle fut évincée, sans appel. D’ailleurs, tout était déjà arrangé, il épouserait Lucie dont la valeur morale ne pouvait être mise en cause.

Il devint clerc de notaire comme sa mère l’avait voulu. On disait de lui qu’il ressemblait beaucoup à son père.
Le petit Paul naquit un beau matin d’été. Ce fut un rayon de soleil dans la maison où Guy vivait confiné entre son épouse et sa mère.
Paul grandissait. Il avait tout ce qu’on peut raisonnablement demander à la vie : la santé, un toit, une famille. Pour ses six ans, il eut son premier cadeau d’anniversaire : un joli costume gris. Guy sentit un étau d’acier lui broyer le cœur.
Sa mère mourut. Lucie y gagna un surcroît d’autorité. Un jour elle ramena un petit labrador à la maison. Paul adora le chien, ce petit chien d’aveugle qui devrait quitter la maison une fois son éducation achevée...
Des pas précipités martelaient les marches d’escalier. Écartant la femme qui hurlait et gesticulait, policiers et brancardiers firent irruption dans la pièce. Ils virent un homme, assis sur un canapé, le visage ensanglanté. A ses côtés, un petit garçon, tout de gris vêtu, pleurait en serrant un jeune labrador dans ses bras.
- J’aiguisais des couteaux, dit l’homme, je me suis blessé, je n’y vois plus rien.
« Ah ! C’est un accident, pas besoin d’enquête... pensa Gustave Cherchebien, avec soulagement. » 
L’homme se leva en titubant légèrement. Avant de se laisser entraîner par les infirmiers, il se tourna vers son fils.
- Ne pleure pas, tout ira bien maintenant. Surtout, prends bien soin de Tom, dit-il en souriant doucement... On va avoir besoin de lui... A présent, il y a un aveugle dans cette maison...

A  LUNDI

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