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les enquetes de gustave cherchebien

la boîte rouge

Publié le par HITOYUME

les enquêtes de
 Gustave CHERCHEBIEN

Un petit être humain d'aspect extérieur anodin, faciès sombre orné d'un nez aquilin et de sourcils fournis. Un type comme on en croise des dizaines dans une journée, des centaines dans l'année, plusieurs milliers dans une vie. On ne les remarque pas, ou peu.
Pas assez beau et sans aura charismatique pour être remarqué positivement, d'une laideur trop banale pour déranger consciemment les gens qui l'entourent. Le stéréotype du quelconque qui passe une existence à croiser ses contemporains sans les marquer, sans s'en faire remarquer.
Monsieur Fouquiau était ainsi inaperçu de ses contemporains et s'en accommodait plutôt bien. Il cultivait même cet anonymat en ne dispensant pas une parole plus forte qu'une autre, en ne prodiguant aucune attitude démesurée, en ne traversant ô grand jamais hors d'un passage clouté.
Des habitudes. Une multitude de petites habitudes pour accompagner sa vie. Voilà sur quoi Monsieur Fouquiau pouvait compter.

Son habitude fondamentale, celle qui formait le pilier central de son organisation et la source de son plaisir était le rituel du dimanche après-midi. Chaque tantôt dominical, Monsieur Fouquiau se rendait à la rotonde, bar tabac Pmu de la rue des Pharmacies. Là,  lorsque la météo le permettait, il s'asseyait en terrasse à une table isolée, pas trop proche ni trop éloigné de celle de Elvio di Justo, le mentor des courses hippiques. Il sortait alors sa petite boite métallique rouge vif du sachet plastique qu'il avait transporté précieusement de son appartement à son lieu de prédilection.
Il commandait un premier café à  la jeune et maigrelette serveuse brune de la Rotonde que tout le monde appelait Do.  Il se laissait ensuite aller à écouter les conversations des gens l'entourant. Roger, Julien, Dédé, Mourad, Pierrot qui parlaient fort et gestuellement, qui communiquaient avec une vivacité que Monsieur Fouquiau appréciait et admirait, mais sans aucune convoitise ou jalousie. En écoutant attentivement chacun des protagonistes de la comédie de la Rotonde, Monsieur Fouquiau ouvrait sa boite métallique rouge contenant son trésor : des biscuits plats qui semblaient manifestement artisanaux. Il en choisissait un longuement, puis le portait à sa bouche et le grignotait lentement entre deux minuscules gorgées de café. L'homme discret arrêtait apparemment son choix en fonction de la personne qu'il écoutait, un peu comme on choisit sa cravate en fonction de sa chemise ou sa femme en fonction de son patrimoine.
Monsieur Fouquiau ne parlait pas aux gens, il les écoutait. Il ne les jugeait pas, il les analysait méthodiquement à partir des éléments scrupuleusement récoltés au fil des conversations qu'il entendait, mais auxquelles il ne participait pas.
Il bâtissait des théories sur la vie des ouvriers retraités d'origine italienne à partir des informations de la vie de Elvio di Justo. Il composait des archétypes féminins à partir du mode relationnel qu'entretenait Dominique avec ses clients. Il croyait conceptualiser sans erreur possible le machisme des artisans parisiens à partir des brides de la vie de Julien.
Monsieur Fouquiau vivait dans la parfaite harmonie de l'imbrication intégrale et exhaustive de ses analyses.
Chaque chose avait une explication sans faille, chaque comportement une motivation rationnelle, chaque désinvolture une source avérée.
L’homme discret avait tout de même une confidente, une personne à qui il épanchait ses secrets, son secret. Dominique découvrait ainsi au fil des années et des confessions discrètes de l'anonyme aux sourcils fournis pourquoi celui-ci restait ainsi si effacé, pourquoi, il gardait si précieusement cette boite rouge aux biscuits artisanaux près de lui comme un trésor précieux, pourquoi il écoutait si attentivement les paroles de ses voisins.

Monsieur Fouquiau lui avait un jour avoué : « Chacun de mes biscuits est confectionné selon une recette héritée de ma famille, en fonction de la personne que je vais écouter... Le biscuit comprend dans sa recette un ingrédient de la personne visée, ce qui me permettra ensuite en l'écoutant de pénétrer sa manière de penser, sa culture, ses émotions... »
Dominique n'en revenait pas, ne comprenait pas.
« Il ne faut surtout pas le répéter, hein ?!? En plus à partir de ses sortes de transe procurées par mes biscuits, je peux comprendre la personne écoutée... c'est un peu comme si je pénétrais sa tête. Je suis un peu dans son esprit ! ».
La serveuse de la Rotonde ne comprenait toujours pas. Perplexe et légèrement apeurée, elle questionna tout de  même Monsieur Fouquiau afin de connaître la finalité d'une telle pratique presque satanique pour la catholique qu'elle était.

« Tu sais, il n'y a rien de méchant à cela. Aucune volonté négative. Je fais juste tout ça pour  comprendre les gens, enfin plutôt pour percer les secrets de leurs réactions, les explications de leurs comportements... »
En écoutant, les propos de Monsieur Fouquiau, Do se laissait aller à imaginer le potentiel de ces biscuits... Pénétrer l'esprit des gens, connaître leurs secrets, voilà des mots qui semblaient bel et bien porteurs de messages d'enrichissement… Les secrets, ça s'achète, et surtout ça se vend !
« Tu sais avec toutes ces expériences, je suis en train d'écrire un traité sociologique qui permettra à tous de mieux se comprendre, à chaque personne de comprendre son prochain et de mieux vivre ses relations sociales. »
Voilà bien une songerie d’un vieux rêveur solitaire, pensa Dominique. Moi avec cette boite rouge et ses biscuits, je m'arrangerai surtout pour que mon banquier me comprenne mieux !
Le surlendemain, vers 13 h 34, Dominique plus déterminée que jamais fixa un rendez-vous par téléphone à  Monsieur Fouquiau chez lui afin de lui parler d'un grave problème qu'elle n'avait bien sûr d'aucune manière.
Arrivée devant sa porte, la serveuse frappa lourdement à la manière d'un code de mauvais roman d'espionnage. M. Fouquiau lui ouvrit la porte presque instantanément.
Mademoiselle Dominique maquilla aussitôt son visage de sa mine la plus effondrée.
Elle pénétra dans l'appartement lentement, péniblement, sans dire mot, le regard rivé au parquet en bois usé du petit logement vétuste de son hôte.
Elle traînait des pieds.
En avançant, elle fit glisser son manteau apathiquement le long de ses bras. Celui tombal lentement jusqu'au sol.

Monsieur Fouquiau en homme bien attentionné qu'il était, s'empressa de suivre Dominique et de se baisser pour ramasser le vêtement ainsi abandonné. La serveuse se retourna alors brusquement et dans un mouvement d'une extrême violence lui frappa la tête avec le marteau qu'elle avait dissimulé jusque-là dans son manteau.
Monsieur Fouquiau gisait par terre. Son crâne légèrement ouvert laissait transparaître un peu de sang sur sa chevelure modeste.
Do souriait, elle avait déjà repéré la boite rouge aux biscuits sur la commode du salon.
À peine sortie de l'appartement avec, dans son sac rouge cendré, l'objet convoité, la boite qui  semblait de par son contenu insolite promettre un avenir nettement plus radieux, la brune menue se dirigea rapidement vers la Rontonde.
Elle prit vaguement le temps de saluer les habitués, se servit nonchalamment un chocolat chaud et s'installa à la table du fond, celle juste entre la porte des toilettes et la table d'Elvio di Justo.
La stratégie qu'elle avait élaborée était semble-t-il simple : il s'agissait de découvrir un secret de Elvio et après le faire chanter, lui extorquer proprement l'argent qu'il gagnait avec ses paris, ses courses et ses sombres rachats d'ardoise.

Dominique, tout ouïe, assise dos à Elvio, pris son sac et en sorti la boite rouge qu'elle déposa sur ses genoux. Elle l'ouvrit méticuleusement comme on ouvrirait le couvercle d'une casserole chaude.
Son visage changea de teinte. La boite contenait trois biscuits sensiblement identiques. Pas un mot, pas un détail pour distinguer celui qui renfermait la capacité de dérober les secrets potentiellement enrichissants d'Elvio. Do décidée à aller jusqu'au bout de sa démarche s'empressa, dans son élan euphorique d'avaler presque tout rond les trois gâteaux secs de Monsieur Fouquiau.
Elle se concentra ensuite. Elle se concentra de tout son être en tentant vainement de se focaliser sur la voix rauque d'Elvio qui discutait derrière elle.
Mais rien ne semblait se produire.
Elle ferma les yeux pour mieux se concentrer. Peut-être devait-elle entrer dans une sorte de méditation ?
Cela ne fonctionna pas non plus.

Sans perdre patience, toujours les yeux fermés, Do polarisa tous ses sens sur sa cible. L'odeur de son tabac brun, le son rocailleux de sa voix, l'image de ses cheveux gris sur son visage mat... La serveuse sentit alors monter en elle une espèce d'enivrement, un vertige puissant, un étourdissement formidable et menaçant. Puis l'étourdissement euphorisant devint si lourd que la brune menue perdit conscience et s'effondra de tout son poids sur le sol crasseux du bar-tabac de la rue des pharmacies.
« Dominique, Dominique !?
Ah, elle reprend conscience ! »
La nuit était déjà tombée lorsqu'en ouvrant les yeux, Do découvrit tous les habitués de la rotonde qui s'agitaient autour d'elle. Elle vit également deux moustachus en uniforme tapis derrière le mentor des courses hippiques.
Elle fixa alors Elvio et elle put lire dans ses yeux pleins de hargne :
« quelle trainée, tu vas payer ! La police est là parce que pendant que tu t'évanouissais, le gentil Monsieur Fouquiau se défenestrait par ta faute! »
Elle se releva abasourdi.
Le commissaire Gustave Cherchebien s'approcha alors et lui dit :
« Veuillez nous suivre mademoiselle Dominique Laplace. Monsieur Fouquiau a laissé une lettre avant de se suicider, et nous connaissons tous vos secrets. »

A  LUNDI

 

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