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les enquetes de gustave cherchebien

qui ça ?

Publié le par HITOYUME

les enquêtes de

Gustave CHERCHEBIEN


- Et moi, mon cher Docteur, dit le procureur Thomas, je vais vous raconter la plus étrange histoire à laquelle il m'ait été donné d'être mêlé ces dernières années, "pourtant riches en curiosités pénales". 
Il se cala dans le fauteuil, et portant aux lèvres la pipe qu'il ne cessait de tripoter depuis tout à l'heure, se décida enfin à l'allumer. 
- Il y a quelques mois de cela, le commissaire Cherchebien, dont je vous ai peut-être déjà parlé, vint me voir pour me demander de l'aider à titre personnel et tout à fait officieux, pour démêler une affaire qui, depuis plusieurs semaines, semait la consternation dans son commissariat. Il est clair qu'à ce stade, il aurait dû transférer l'affaire à un service spécialisé, mais, poussé par une curiosité tout à fait professionnelle, il retardait ce moment et de toute façon désirait auparavant avoir mon avis. Tout avait commencé disait-il, de la façon la plus banale. Un jour, un homme du nom de Tréguier, s'était présenté au bureau d'un de ses inspecteurs pour, affirmait-il, porter plainte contre une femme qui s'immisçait dans sa vie privée. Sollicité pour de plus amples précisions, l'homme raconta que, trois jours auparavant, il était rentré chez lui et y avait trouvé une inconnue qui prétendait être sa femme. Or, disait-il, il n'avait jamais été marié. L'affaire présentant tous les aspects d'un drame sentimental, l'inspecteur avant d'aller plus loin, voulut passer le plaignant à son collègue Mattéoli à qui l'on confiait d'ordinaire ce genre de problèmes car il disposait en la matière d'un tact et d'une patience idoine. Or, il était en vacances. Le commissaire n'ayant rien de plus urgent à faire décida alors de recevoir lui-même l'individu, et procéda à l'interrogatoire d'usage. Ce dernier déclara s'appeler Emile
Tréguier, être âgé de 46 ans, agent à la SNCF, célibataire endurci et n'avoir, précisa-t-il, aucun penchant pour la boisson. Il était donc rentré un soir dans le deux-pièces qu'il occupait à Bagnolet et avait trouvé dans sa cuisine une femme en train de faire la vaisselle, qu'il ne connaissait pas, qu'il n'avait jamais vue. Et quand il lui demanda "Qui êtes-vous ?", elle répondit d'un air stupéfait "Mais Emile... tu es saoul ?". 
Il la prit d'abord pour une aventurière ou une fille un peu dérangée, mais il dut changer d'avis car à chacune de ses questions, la femme le considérait avec un air de commisération profonde et il était clair qu'elle le prenait pour un fou. Il se mit alors en colère et la flanqua dehors. Persuadé que la fille, rentrée par effraction, lui avait joué une tortueuse comédie, il fouilla son appartement pour voir si quelque chose avait été volé. Il fut alors stupéfait de constater que c'était l'inverse ; rien ne manquait mais il y avait beaucoup de choses en plus. Des robes, des sous-vêtements, des produits de beauté, des médicaments, soigneusement rangés ou négligemment posés, bref, une incroyable mise en scène. Le lendemain, la femme revint. Là, il se mit en colère derechef, la pressa de menaces et de questions, ce qui n'eût pour résultat que de la faire éclater en sanglots. Elle était repartie, puis l'avait laissé en paix pour 24 heures. Mais ce matin, il avait reçu un coup de téléphone d'un inconnu, un homme apparemment assez âgé mais encore vert qui lui avait dit textuellement : "Ici le père de Ghislaine. Ecoutez mon petit Emile. Si vous ne vous ressaisisez pas, ou bien c'est moi qui vous emmène chez le docteur, ou bien je viens vous casser la gueule !". Il n'avait pas été spécialement impressionné par les menaces mais, derrière la voix de l'homme, il avait distinctement entendu une voix de
femme qui disait "Non papa, ne sois pas trop dur, ne lui parle pas comme ça, c'est pas de sa faute". 
Alors là, il avait eu peur, et était venu au commissariat. D'habitude, me dit le commissaire, nous mettons 2 minutes à classer les gens qui viennent nous voir : les menteurs, les ivrognes, les teigneux, les affolés... Mais là, pour la première fois de sa vie, il avait été incapable de prononcer un jugement. Ecoutez, lui dit le commissaire, si ce que vous dites est vrai, vous avez affaire à une tentative de persécution morale d'un genre nouveau, mais pour vous croire, il me faut d'abord une fiche récente d'état civil. l'homme n'en avait pas sur lui, mais prétendit en avoir une à son domicile. Le commissaire accepta de l'y accompagner. 
La femme était dans l'appartement. 
"Ah ! Vous voyez, commissaire ? s'exclama Tréguier, faites quelque chose ! Enfermez-là !". 
La femme regarda alors mon ami avec des yeux complètement effarés, et dit seulement : "Il a été chercher la police !" puis s'effondra en sanglots. Le commissaire les exhorta au calme et examina les papiers que lui présenta Tréguier, ce dernier non sans avoir ajouté : "C'est tout de même incroyable d'en arriver là !". Si la fiche d'état civil avait été consciencieusement remplie, c'était indubitable : la mention "Situation de famille" portait bien ; "Célibataire", ainsi que plusieurs autres documents divers. Après avoir bien vérifié les dates et l'origine, le commissaire voulut interroger la fille. Mais avant qu'il ait pu commencer, celle-ci, bouleversée,
sans un mot, le visage rempli de larmes, déposa un carnet entre ses mains. C'était le livret de famille. On y lisait : "Epoux : Tréguier Emile; Epouse : Tréguier Ghislaine, née Vauquelin", et le document présentait tous les caractères de l'authenticité. Il se faisait tard. Puisqu'elle avait de la famille, le commissaire conseilla à la prénommée Ghislaine d'aller passer quelques jours avec elle, c'était exactement ce qu'elle comptait faire, répondit-elle, elle était seulement venue chercher ses affaires avant que son mari, au paroxysme de sa crise, ne jette tout à la poubelle. et le lendemain, le commissaire, extrêmement intrigué commença une enquête auprès des voisins, travail et administration. 
Comme pour souligner son effet, le procureur tapota sa pipe sur le cendrier. "Et c'est là, mon cher Docteur, que l'affaire devient proprement ahurissante". 
D'abord, l'enquête administrative ne l'aida en rien. L'état civil de Bagnolet parfaitement à jour, n'avait aucune trace du mariage du dénommé Tréguier Emile, par contre les registres de la Mairie de Levallois portaient mention du mariage parfaitement régulier Tréguier-Vauquelin. Ce ne pouvait être encore qu'une erreur administrative, mais les choses s'aggravèrent au travail de l'intéressé. Son chef à la SNCF répondit par un éclat de rire aux questions du commissaire : "Tréguier marié ? Ca serait plus qu'une surprise ! Ca serait un prodige". Mais son collègue de bureau s'inquiéta : "Sa femme ? Oui, bien sûr, elle s'appelle Ghislaine. j(espère qu'il n'est rien arrivé de grave, commissaire, il l'aime tant". Perplexe, le commissaire alla interroger
les voisins. La concierge, parfaitement au courant de l'affaire, était toute compatissante : "C'est injuste ce qui lui arrive. une si brave fille, honnête et travailleuse. elle s'entendait si bien avec son mari. c'est terrible, ces maladies mentales...". Mais son voisin de palier s'indignait : "Oui, c'est incroyable ce qui lui arrive à ce pauvre Tréguier. lui qui tenait tant à sa tranquillité ! A mon avis, c'est une folle, ou elle en veut à ses sous". Il interrogea tout l'immeuble. c'était 50/50. La moitié prétendait n'avoir jamais vu de femmes, l'autre les avoir toujours connus mariés. Confrontés, deux témoins opposés faillirent en venir aux mains et se traitèrent de fou mutuellement. cette proportion de moitié-moitié, se prolongea à tous les stades de l'enquête : une preuve indiscutable pour, une preuve indiscutable contre. L'affaire en était là quand le commissaire vint me voir. Mais le détail qui l'avait déterminé à venir me demander de l'aide était le suivant : le matin même au commissariat, il avait trouvé un inconnu fouillant dans ses papiers. Quand sidéré, il lui avait demandé : "Qui êtes-vous", l'homme était resté paralysé un instant avant de répondre : "Mais commissaire, je suis l'inspecteur Mattéoli. je viens de rentrer de vacances...". or il se souvenait très bien de Mattéoli, ce n'était pas cet homme-là. L'ennui, c'est que tous ses collègues étaient d'un avis contraire. Le lendemain, j'appris que mon ami était parti en vacances. Belle histoire, non?". 
Silencieusement, le docteur considéra le procureur Thomas curer sa pipe. Puis il regarda la porte, puis la fenêtre, puis de nouveau la porte. Puis ses yeux revinrent au procureur. Il dit : 
- Vous êtes bien gentil de me raconter tout ça, monsieur, mais qui êtes vous ?

A  LUNDI

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