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les enquetes de gustave cherchebien

l'arrestation de Ruffino

Publié le par HITOYUME

les enquêtes de

Gustave CHERCHEBIEN

 

Oklahoma-Bill fit un geste. Ses hommes sortirent des buissons et, encerclèrent la diligence, saisirent aux mors les chevaux qui se cabrèrent. Le lourd véhicule s'arrêta au milieu d'un nuage de poussière.
- Descendez, ou je vous descends, dit Oklahoma-Bill.
Le conducteur leva les bras.
- Je crois que nous sommes faits, dit-il du coin de la bouche à son aide assis à côté de lui.
Il jeta un coup d'oeil sur les hommes d'Oklahoma-Bill qui, rangés en cercle, braquaient sur lui des carabines patibulaires, et il sauta de son siège.
Bill, tenant d'une main son pistolet à six coups et se cramponnant de l'autre aux barres d'appui, grimpa en un instant sur le toit de la diligence. Des objets lourds et solidement arrimés reposaient sous des bâches. Bill souleva un coin de toile.

- Les coffres !...
Et il se tourna vers ses compagnons.
- Les gars ! Voilà le trésor...
Mais comme il se penchait pour, suivant les traditions, faire sauter d'un coup de pistolet la serrure d'un des coffres, une voix l'interpella.
- Victor, ta soupe est froide...
Oklahoma-Bill releva la tête, sauta du tonneau sur lequel il avait grimpé et jeta dans l'herbe le bout de bois qui lui servait de revolver. Puis il rassembla ses troupes; en l'occurence sa petite soeur, Suzy, régulièrement vouée aux rôles de comparse dans les aventures qui sortaient de l'imagination fertile de Victor.
- Alors, Victor, ta soupe ?...
- Je viens. Je viens...
Pour faire métier d'attaquer les diligences dans les passes désertes de l'Ouest ou de piloter un avion super-sonique à travers le ciel, on n'en est pas moins un garçon obéissant.
Victor prit Suzy par la main et ils entrèrent dans la cuisine.
Le père, devant son assiette vide, jetait un coup d'oeil sur le journal.
- Tiens, dit-il, Ruffino s'est encore échappé...

Victor leva le nez.
- Ruffino ? dit-il. Je connais un Ruffino. Pendant la guerre, c'était un as, un héros. J'ai vu sa photo l'autre jour, en grand uniforme d'aviateur. Il avait tant de décorations que sa veste pendait d'un côté. Ruffino, ça, c'est un type...
- C'est le même, fit le père de Victor sans s'émouvoir.
- Comment dis-tu ?...
- C'est le même, quoi ! Il n'a pas eu de veine, ton Ruffino... Son autre spécialité, avec les avions, c'est les banques. Il en a déjà attaqué pas mal, tu sais... C'est un aviateur qui vole quoi !...
Et l'homme éclata de rire en se tapant sur les cuisses.
Mais Victor n'avait pas envie de rire. Ruffino, attaquer des banques ?... Je vous demande un peu ! Mon père se trompe. Ce n'est pas le même...
Le journal traînait sur un coin de la table. Victor le prit et l'ouvrit. Une photo s'étalait sous un titre gras. La photo banale, communiquée par la police : un homme vu de face et de profil, blafard, mal rasé et la cravate de travers. Hélas, dans cette épave humaine, Victor ne pouvait pas ne pas reconnaître le même personnage
que dans le héros couvert de décorations de la photo glorieuse.
Il remit le journal sur la table et sortit, songeur.
- Hé, Victor, lui cria quelqu'un dans le dos. Méfie-toi. La ville n'est pas loin... Des fois que ton Ruffino serait caché dans notre grange...
Victor était trop triste pour apprécier la plaisanterie. Il ne se retourna pas.
Victor sortit de la cour. Il se sentait mélancolique. Il traversa le verger et passa derrière la ferme, dans un petit coin de prairie où l'on avait élevé des meules pointues avec le foin qui, l'été précédent, n'avait pas pu trouver place dans le grenier. Il marchait, tête baissée, pronfodément songeur et donnant des coups de pied aux mottes de terre.
Une motte compacte, trop vivement frappée par la chaussure de Victor, se détacha. Victor la suivit des yeux et la regarda s'écraser au pied d'une des meules. C'est alors qu'il vit... Qu'il vit, dépassant d'entre les bottes blondes, un pied enveloppé d'une chaussette bleue trouée au talon.
Victor voulu fuir, mais déjà la meule s'animait. Le pied bougeait, sortait du foin, suivi d'une jambe, d'un genou, et un homme apparut.
Il était grand, svelte, vêtu d'un vieux costume marron dont le veston baillait aux coudes par des trous barbus.
Son visage était franc et, somme toute, assez sympathique, mais la misère et la fatigue le marquaient.
- Vous, dit Victor, vous êtes Ruffino...
L'homme leva les yeux, surpris, et peut-être flatté.
- Qui te l'a dit, moustique ?...
- J'ai vu votre photo dans le journal.
- Ma photo dans le journal ?... Diable ! Ils ont donc bien envie de me retrouver...
- Mais je vous connaissais déjà avant ça. Vous êtes un héros de la guerre, n'est-ce pas ?
- Mon Dieu, disons que je me suis un peu bagarré. C'était mon devoir, non ?
Entendre ce personnage parler de son devoir était évidemment assez inattendu, mais Victor n'était pas sensible à ce que la situation avait d'amusant. Il regardait seulement Ruffino qui, visiblement à bout de forces, semblait pourtant vouloir poursuivre sa route.
- Au revoir, moustique ! Ne dis à personne que tu m'as vu...
Victor comprit à cette seconde qu'il faut parfois choisir entre ce que l'on aimerait faire et ce que l'on doit faire, et il sut combien c'est difficile.
- Je dois le dire aux policiers que je vous ai vu...
- Les policiers ?... Tu n'y penses pas ! Ce sont mes pires ennemis. Tu ne peux pas me faire ça !...

Buté, Victor se taisait.
- Allons, moustique, écoute-moi... Tu me connais, tout de même. Tu sais qui je suis. Hein ?... Tu me vois partir d'ici entre  deux policiers ? Moi, Ruffino, qui ai tant fait pour vous tous pendant la guerre...
Chose étrange, Victor n'avait pas peur. Il sentait qu'un dur combat était en train de se jouer. Il l'affrontait avec un coeur déchiré, car il se trouvait pris entre son admiration pour le Ruffino aviateur et sonmépris pour le Ruffino cambrioleur, mais il ne tremblait pas.
- Tiens, disait l'homme en se rapprochant. Donne-moi dix minutes, rien que dix minutes, et je serai loin. Ils ne ma rattraperont pas.
Faire son devoir est parfois, souvent une nécessité pénible et sans grandeur.
- Tu ne vas pas me donner, tout de même ! disait Ruffino.
Et bien si, justement, Victor sentait qu'il allait devoir "donner" ce jeune homme qu'il admirait, et cette perspective l'emplissait d'une sombre amertume.
Or, soudain, l'homme se mit à courir. Il détallait à travers la prairie, sur une seule chaussure, car il n'avait pas pris le temps d'enfiler ses deux souliers.

Il n'alla pas loin. Le pré descendait en pente douce, vers une mare que rien ne signalait à l'attention. Ruffino était venu trébucher au bord de la mare et avait plongé, la tête la première, dans l'eau fangeuse. Victor, instinctivement, se porta à l'aide du malheureux. C'est à cet instant que le père de Victor, sortant comme chaque jour prendre le frais après le déjeuner, découvrit son fils en train de tirer par les pieds un inconnu tombé dans la mare. Il alerta les autres habitants de la ferme, on accourut, et, en quelques minutes, Ruffino, tout dégoulinant de boue verte, se trouva entouré de tant de gens qu'il comprit l'inutilité de songer à la fuite. D'ailleurs, il n'aurait plus eu la force de courir.
- Tu vois, dit-il au petit garçon en lui montrant la route, tu n'auras pas eu besoin d'appeler les flics.
C'est un habitant de la ferme qui avait prévenu le village et les policiers arrivaient.
- Qui êtes-vous, dit le commissaire Gustave Cherchebien.
- Je m'appelle Ruffino.
- Ruffino le cambrioleur ?... 
- Non, l'aviateur...
Cherchebien n'était pas d'humeur à plaisanter.

- Suivez-nous, fit-il.
Comme c'était simple... Victor vit Ruffino s'éloigner vers le village, entre les hautes silhouettes des deux policiers.
Victor était infiniment triste.
Le commissaire, en passant devant lui, lui pinça l'oreille, puis fouilla dans sa poche et en tira une pièce de monnaie.
- Tiens, prends ça. C'est grâce à toi que l'on a arrêté ce bandit. Tu es un brave petit gars... Tiens. Tu t'achéteras des bonbons...
Mais Victor répondit :
- Je ne veux pas de vos bonbons. Ruffino, c'était un as !

 

A  LUNDI

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