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scenes de vie

sang

Publié le par HITOYUME

Elle a vu le sang pleurer dans le bac de douche. Elle a pleuré très silencieusement, par peur de réveiller cette idée d’enfant absent, par peur de n’être pas capable. Son mari l’a doucement enveloppée, comme une couverture la nuit, mais ses mains étaient froides et son cœur malhabile. Elle souffrait du manque, du creux de son ventre, de l’absence de la femme et de la vie. Ses mains étaient toujours aussi vides, ses yeux se tournaient vers les ouvertures. Les fenêtres, le ciel, la mer, les portes, le soleil, la lune. La nature était féconde, elle était intruse. Elle devait taire sa douleur, taire, taire le matin au réveil de son mari. Taire le soir à son retour. Taire au téléphone avec ses parents. Aux réunions avec ses amis. Son véritable ami avait toujours été ce petit garçon de deux ans, qui courait et s’écorchait les genoux. Celui qu’elle devait forcer à manger quand il recrachait la purée de brocolis frais. Celui qui un jour bouillait de colère pour une injustice, l’autre l’aimait jusqu’au complexe. Qui avait lu si tôt, porté des couches jusqu’à si tard. Celui qui devait être à la place du sang. Le sang revenait, plus puissant que l’envie, plus puissant qu’elle, surpassant tout. Ce sang affreux, ce sang douleur. Son enfant était dans l’invisible, dans l’attente. Elle avait les seins maigres, le ventre rentré, les épaules courbées. Elle. Lui. Sa petite fille chipie partageant des secrets tout fort, volant des biscuits dans la boîte de la cuisine, appliquée dans son écriture, qui pendait ses bras à son cou avec tant de naufrage. Elle a filé par le siphon de la douche, avec le sang. Sang, vie, qui est la femme.
Stérilité. Cela commence par la même lettre que sang. C’est froid et vide comme une morgue. Il a remplacé le beau dans son ventre de sa présence inhumaine. Il l’habite, la ronge de l’intérieur, s’attaque au foie, à l’estomac, au pancréas. Il circule si aisément, comme un chasseur qui élimine un à un tous ses enfants possibles.
Elle s’est créé un monde. Elle fait la cuisine pour ses enfants, nombreux. La joie habite les murs brique, criaille et rebondit dans les plats mal léchés, les petits pois qui ont glissé sous les chaises et la lumière qui grésille. Elle s’est enfermée dans un regard illuminé, elle se déplace dans un monde de vie là où son âme n’est plus cendre. Son mari a compris, finalement. Il a compris les yeux, la moue et les heureux gestes. La cuisine pour cinq malgré les larmes en silence. Il ne l’a pas lâchée. Il est devenu son sang.
Mais elle ne pouvait voir qu’eux. Elle avait rayé sa vie. Lapidé. Scarifié. Appuyant sur le tendre de la peau blanche jusqu’à ce que la douleur afflue plus que l’amour plus que l’enfant dans la goutte qui glisse le long du poignet. Elle est morte d’hiver, ses poignets saignés à blanc tâchant son pull. Elle a réglé sa vie autrement que par le bas.

 

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