les larmes du vent

Ce matin-là, Charles Longley, étudiant de l'université d'Edimbourg, s'éveilla de fort mauvaise humeur. Cette disposition fâcheuse était dûe à la perspective d'assister au cours du professeur de chimie, Dacving; cours ennuyeux, long, fatigant, auquel il n'y avait malheureusement pas moyen d'échapper. Le recteur venait, en effet, de menacer ceux qui n'assisteraient pas aux leçons de M. Dacving de les consigner durant les prochaines vacances...
Mais Charly, qui ne manquait point de ressources, fut soudain traversé par une idée géniale.
- Jimmy, cria-t-il à son domestique, regarde ceci.
Du bout des doigts, il agitait quelque chose de brillant. Jimmy se pencha et constata que c'était une guinée. Ses yeux s'allumèrent de convoitise.
- Cette pièce est à toi, poursuivit le jeune homme, si tu fais ce que je te demande... Dis-moi, aimes-tu la chimie ?
- La chimie ? répéta le domestique en roulant des yeux effarés, à vrai dire, Monsieur Charly, je ne puis vous répondre ! Je n'en ai jamais mangé.
- La chimie, nigaud, ne se mange pas ! Mais peu importe !... Tu vas assister à ma place au cours de Monsieur Dacving.
- Monsieur Charles, vous n'y pensez pas !... Je...
A ce moment, Henri Walter entra. C'était l'ami intime de Charles. Mis au courant du stratagème imaginé par son camarade pour échapper aux leçons de chimie, il applaudit des deux mains.
- Parfait, parfait ! Je vais t'aider à "camoufler" ce garçon. Quel malheur qu'il ne puisse pas nous remplacer tous les deux !...
Une heure plus tard, revêtu des habits de son maître, Jimmy prenait le chemin de l'université en compagnie de Walter.
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Parmi tous les jeunes écervelés qui ne l'écoutaient pas, M. Dacving eut tôt fait de ramarquer un jeune garçon qui suivait son cours avec application.
- Voilà un jeune homme sérieux ! Il fera son chemin ! pensa le professeur.
M. Dacving tint à le signaler dans son rapport au recteur.
- Comment vous appelez-vous, mon, ami ? lui demanda-t-il.
- Jim... C'est-à-dire, Charles... Charles Longley.
- Charles Longley, je vous félicite et je forme le voeu que vos camarades prennent exemple sur vous.
Quelques rires fusèrent ça et là. Après le cours, on vota un ban de félicitation à Jimmy. Pour commémorer ce beau jour, Charles Longley offrit un vin d'honneur.
- Mes bons amis, dit-il, grâce à Jimmy, j'ai pu m'entraîner sérieusement, et me voici prêt à affronter sur le ring le champion Francis Lawson. Qu'en dites-vous ?
- Vive Charlie ! cria-t-on.
Le lendemain, alors que les élèves assemblés attendaient leur professeur, M. Dacving entra, grave et digne, en compagnie de deux gentlemen inconnus. Ces gentlemen étaient les célèbres professeurs Donald Shepears et Georges Lievens, délégués par le gouvernement de Sa Majesté pour inspecter les universités du Royaume-Uni.
Le professeur Dacving, un peu ému, prit place à sa chaire dans le plus grand silence; puis, se tournant vers ses confrères, il déclara :
- Messieurs, permettez-moi de vous présenter un jeune élève dont je ne saurais assez faire l'éloge. Pas une fois, depuis trois mois, ce garçon n'a manqué d'apporter à mon cours la plus studieuse attention. Monsieur Charles Longley, veuillez descendre, je vous prie. Ces Messieurs vont vous poser quelques questions auxquelles je ne doute pas vous répondrez parfaitement.
Affolé, le malheureux Jimmy crut que le sol s'entr'ouvrait sous ses pieds.
- Voyons, Monsieur, descendez ! insista le professeur.
- Ne descends pas, malheureux, murmura Harry Walter, cramponné à la manche du domestique.
- Déclare que tu es souffrant ! chuchota un voisin.
- Je... je me sens souffrant, répéta Jimmy en haletant.
- Monsieur Longley, votre modestie est louable mais exagérée... Je vais aller moi-même vous chercher.
Se disant, M. Dacving descendit de l'estrade et, prenant Jimmy par le bras, l'amena devant les illustres visiteurs.
- Messieurs, dit-il, à vous l'honneur de l'interroger !
Le plus vieux des inspecteurs, Donald Shepears, considéra Jimmy avec attention, puis d'une voix chevrotante, lui demanda :
- Monsieur Longley, voulez-vous me parler de la loi des proportions multiples ?
- La... la... la loi es proportions multiples, gémit Jimmy, heu... heu... C'est...
- Voyons, ne vous troublez pas ! Ma question vous embarrasse-t-elle ?
- Heu... la question... heu non, Monsieur ! Ce serait plutôt la réponse.
- La timidité de ce garçon est décidément bien grande, déclara M. dacving, avec un début d'inquiétude. Monsieur l'Inspecteur, je vous prie, posez-lui une autre question.
- Soit. Monsieur Longley, parles-moi de la théorie des nombres proportionnels thermiques ?
- Oh !... balbutia Jimmy en se prenant la tête à deux mains, qu'est-ce que c'est que tout ça ?...
- Mais enfin, Monsieur Longley, s'exclama le professeur Dacving, qu'apprenez-vous donc à mon cours ? Que venez-vous y chercher ?
- Je... je viens y gagner une guinée ! s'écria le jeune domestique éperdue.
- Une guinée ? Et vous êtes le fils de Sir William Longley ?
- Oh, non, Monsieur, je suis le domestique de M. Charlie !
- Son domestique ! répétèrent, stupéfaits, les délégués de Sa Majesté. quel scandale !...
Le recteur fut appelé en toute hâte. on le mit au courant de la situation et sa colère égala l'émotion de l'infortuné M. Dacving.
- Qu'on aille me chercher immédiatement le détestable Charles Longley, dit-il.
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Il recula  ahuri lorsque Charles se présenta devant lui, en personne cette fois, mais dans quel état ! Le visage tuméfié, un oeil au beurre noir et deux énormes bosses lui gonflant le front... Le jeune homme marchait si péniblement qu'il n'avançait que par petits sauts, sur une seule jambe.
Vous avez deviné ce qui lui était arrivé. Notre futur champion de boxe venait de se faire battre par Francis Lawson. Il était sur le chemin de son appartement lorsque l'ordre de comparaître devant le recteur lui était parvenu.
Pauvre Charlie ! Aux arrêts durant toutes les vacances, il eut le temps de méditer sur les dangers d'une supercherie trop parfaite. Si Jimmy s'était montré moins bon élève, il n'eut pas été remarqué. C'est toute la morale que ses amis et lui tirèrent de cette aventure...
Il en est une autre, cependant, que vous avez certainement découverte vous-mêmes : c'est que jamais un étudiant n'a déserté les cours impunément. Charles Longley en fit la triste expérience aux examens. Mais ajoutons à sa décharge, que, depuis lors, il n'y a pas, dans toutes les universités de Grande-Bretagne, d'élèves plus sérieux que lui.