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le prince des illusions (39)

Publié le par HITOYUME

le prince des illusions
39
(tiré des mémoires de Robert Houdin)

RESUME : le prestidigitateur Robert Houdin donne une série de représentations en Angleterre. Après avoir été accueilli triomphalement dans les principales villes du Royaume, il s'arrête à herford pour quelques jours. Mais le public semble le bouder. Nous le retrouvons en train de donner une représentation devant trois spectateurs...

De son côté, mon public faisait tout le bruit possible pour me prouver sa satisfaction. Il trépignait, applaudissait, criait, de manière à me faire croire que la salle était complètement garnie.
La séance entière ne fut qu'un échange de bons procédés, et chacun des spectateurs vit avec peine arriver la dernière de mes expériences. Celle-là n'était pas indiquée sur l'affiche; je la réservais comme la meilleure de mes surprises.
- Messieurs, dis-je à mon triple auditoire, j'ai besoin, pour l'exécution de ce tour, d'être assisté de trois compères. Quelles sont les personnes parmi l'assemblée qui veulent bien monter sur la scène ?
A cette comique invitation, le public se leva en masse et vint obligeamment se mettre à ma disposition.
Les trois assistants consentirent à se ranger sur le devant de la scène, avec promesse de ne point regarder derrière eux. Je leur remis à chacun un verre vide, en leur annonçant qu'il se remplirait d'excellent punch aussitôt qu'ils en témoigneraient le désir, et j'ajoutai que, pour faciliter l'exécution de ce souhait, il faudrait qu'ils répétassent après moi quelques mots baroques tirés du grimoire de l'enchanteur Merlin.
Cette plaisanterie n'était proposée que pour gagner du temps, car tandis que nous l'exécutions en riant aux éclats, un changement à vue s'opérait derrière mes aimables compères. la table sur laquelle j'avais exécuté mes expériences était remplacée par une autre garnie d'une excellente collation. Un énorme bol de punch brûlait au milieu.
Grenet, vêtu de noir, cravaté de blanc, armé d'une cuillère, en stimulait la flamme bleuâtre, et lorsque mes compères exprimèrent la volonté de voir leurs verres se remplir de punch :
- Retournez-vous, leur dit-il de sa voix la plus grave, et vous allez voir vos souhaits accomplis.
Ce fut un coup de théâtre pour mes trois adeptes, qui restèrent un instant ébahis de surprise, ce qui me donna le loisir de compléter l'expérience en faisant remplir leurs verres.
Les musiciens avaient été les spectateurs de cette petite scène; je les priai de venir se joindre à nous pour éprouver la vertu de mon bol inépuisable. Cette invitation fut joyeusement acceptée. On le vida, et nous ne passâmes pas moins de deux heures à deviser sur l'agrément de cette expérience.
Grâce à la prodigalité de l' "inexhaustible bowl of punch", mes convives furent tous saisis d'une tendre expansion. Peu s'en fallut qu'on ne s'embrassât en se quittant; on se contenta cependant de se serrer la main en se promettant mutuellement le plus amical souvenir.
A Colchester devait s'arrêter ma tournée, et je me disposais à plier bagage pour la France, lorsque Knowles, le directeur de Manchester, se rappelant mes succès à son théâtre, vint me proposer d'entreprendre avec lui un voyage à travers l'Irlande et l'Ecosse. Nous étions alors au mois de juin 1849. Paris, on se le rappelle, était plus que jamais agité par les questions politiques; les théâtres en France n'existaient que pour mémoire. Il ne me fallut pas longtemps pour me décider.
Notre excursion ne dura pas moins de quatre mois, et ce ne fut que vers la fin d'octobre que je remis le pied sur le sol français.
Ai-je besoin de dire le bonheur avec lequel je me retrouvai devant le public parisien, dont je n'avais pas oublié le bienvaillant patronage ?
Les artistes qui, comme moi, ont été longtemps absents de Paris, le comprendront, car ils savent que rien n'est plus doux au coeur comme les applaudissements donnés par des concitoyens.

A  SUIVRE

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