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l'esthète

Publié le par HITOYUME

Shizuka ferma les yeux, il passa le bout de ses doigts sur son saya, sourit, rouvrit les yeux, sentant maintenant sous sa main la texture plus râpeuse du tsuka. Sa peau se dressa doucement sous le souffle de la brise, contre l’étoffe fine de son kimono bleu pâle. Ses sandales crissèrent dans la neige alors qu’il passait le poids de son corps dans sa jambe droite, la fléchissant légèrement. Son sourire s’élargit alors que ses cheveux, poussés par le vent venaient caresser son visage. La brise changea soudainement, comme coupée en deux.
Shizuka dégaina, tendant sa jambe droite, projetant sa force.
Un cri de douleur brisa le calme qui avait précédé le duel, le jeune Mirumoto serrait son abdomen en gémissant.
Shizuka ramena sa lame vers lui, l’essuyant avec soin. Le tissu clair prit bientôt une teinte rouge et réchauffa les doigts du Kakita.
- C’est encore une belle victoire, Shizuka-san. 
Le jeune homme leva ses yeux clairs de son étoffe et hocha doucement la tête, ne manifestant aucune arrogance malgré le compliment fait par celui qui l’avait entraîné.
Kakita Mikoshi avait l’air réjoui.
- Vous avez fait honneur à votre école, Shizuka-san. 
Le jeune duelliste s’était replongé dans la contemplation de son katana.
- Merci, Mikoshi-sensei.
- On commence à dire beaucoup de bien de vous à l’oreille du daimyo.
- J’en suis honoré. 
Mikoshi cessa de parler, observant le vaincu. Le jeune Dragon serrait les dents, la blessure était profonde mais pas dangereuse. Là où Shizuka avait frappé, un humain perdait toujours beaucoup de sang. C’était impressionnant mais pas mortel. Mikoshi ne comprenait pas ; ce geste était difficile à exécuter et n’importe quel autre aurait suffi pour un duel au premier sang. N’importe quel autre aurait même pu avoir un effet beaucoup plus esthétique mais Shizuka semblait s’obstiner à frapper à la taille.
Son ancien élève ne bougeait toujours pas, risquant d’attraper la mort par ce temps glacé. Ses yeux étaient posés sur la neige souillée, le bout de sa lame sembla suivre les éclaboussures qu’elle avait provoquées quelques instants plus tôt alors qu’il la rengainait.
- Bonne soirée, Mikoshi-sensei.
- Bonne soirée, Shizuka-san. 
Akiko s’approcha du jeune homme en souriant, faisant onduler les chutes de son kimono écarlate, son éventail pressé contre une de ses hanches. Shizuka était assis sur un banc de pierre à l’extérieur.
- Bonsoir, Kakita-san. 
Il se retourna et son regard indifférent s’embrasa à la vue de la jeune femme.
- Bayushi-san. 
Les yeux clairs restèrent un moment posés sur l’étoffe rouge avant de glisser vers les lèvres peintes de vermillon. Un mince sourire se dessina bientôt sur le visage du duelliste. Il se leva et lissa quelques plis sur son kimono avant de s’incliner respectueusement, ses yeux ne quittant pas les lèvres de la jeune femme. Akiko ne tarda pas à se sentir mal à l’aise, dérangée par le regard insistant du jeune homme. Il était beau et le fait qu’elle ait attiré son attention la gênait. Elle n’était qu’une débutante sur le terrain de la séduction... Elle déplia son éventail et dissimula une partie de son visage rougissant.
Shizuka sourit.
- Voudriez-vous faire quelques pas avec moi, Bayushi-san ? »Quelques heures plus tard, Akiko se demanda ce que penserait son sensei s’il savait ce qu’elle était sur le point de faire. La chambre du duelliste était spartiate. Son daisho était posé sur un présentoir et constituait l’unique décoration de la pièce. Shizuka était un homme fascinant, Akiko était envoûtée à la fois par sa beauté et son langage. Il semblait connaître tant de choses, tout était si beau à travers ses yeux ; il arrivait même à décrire les batailles avec poésie... Elle s’approcha de lui, laissant tomber son éventail sur le sol. Elle posa ses mains sur les épaules du duelliste, elle sentit les muscles se tendre sous l’étoffe fine lorsqu’il avança vers elle, enserrant sa taille avec douceur. Ses cheveux blancs glissèrent sur les doigts de Akiko, avant de venir caresser son visage et ses lèvres. Les yeux gris pâle de Shizuka se posèrent à nouveau sur les lèvres de la jeune femme. Il posa ses doigts sa bouche peinte et regarda fasciné le rouge qui s’inscrivit alors sur sa propre peau.
« Magnifique… » murmura-t-il.
Akiko rougit, les yeux de Shizuka brûlaient à présent. Elle se serra contre lui et l’embrassa, ses mains délacèrent le obi et caressèrent le corps souple et musclé qui se trouvait sous l’étoffe bleue. Shizuka sourit et glissa ses doigts dans la chevelure noire de la courtisane, il ôta les épingles qui maintenaient la coiffure savante qu’elle arborait.
Il effleura sa nuque. Elle gémit doucement. Il posa sa main sur sa bouche. Elle ne comprit que trop tard. L’épingle s’enfonça dans la gorge pâle.
Shizuka retint la chute du corps et l’accompagna avec douceur sur le sol. Il s’allongea à ses côtés, fasciné par sa blessure. Le sang coulait, épais, chaud… Il déplaça l’épingle, élargissant la plaie.
« Magnifique… »
Mikoshi soupira et servit une tasse de thé à son élève.
- Satanés scorpions ! T’envoyer un assassin ! Ils devaient craindre que tu ne remportes les épreuves. Le seul susceptible de triompher en dehors de toi est leur duelliste ! Quelle ruse grossière ! Et prétendre que cette Akiko a agi de son propre chef ! Pour qui nous prennent-ils ? 
Shizuka hocha doucement la tête. Ses yeux perdus dans les volutes de fumées qui s’élevaient de la théière.
 - Quel calme ! Tu as frôlé la mort ! Heureusement, elle t’avait sous-estimé !
- Heureusement. 
Shizuka essuya sa lame, ses ennemis gisaient à ses pieds, la terre buvant avidement le sang qui coulait de leur gorge ouverte. Il sourit.
Mikoshi ne savait plus quoi faire. La population était inquiète. Des crimes avaient lieu dans les quartiers populaires environnant Kyuden Kakita. Le daimyo l’avait désigné pour mettre un terme aux meurtres et, ce soir, Kakita Mikoshi patrouillait.
Un cri le tira de ses réflexions. Il courut aussi vite que le permettait son vieil âge.
- Shizuka ! 
Le vieux sensei était soulagé.
- Tu as pu voir qui… 
Il s’arrêta. Ce n’était pas le jeune homme qui avait été son élève qui se tenait là. C’était un monstre penché sur le corps encore vivant d’un vieil homme. Ses mains fines plongèrent dans la poitrine frémissante, ouverte en deux par un coup de sabre. Le katana était abandonné aux côtés de la victime. Un sourire dément s’étalait sur la figure rougie de Shizuka.
- Sale fou ! 
Mikoshi fondit sur l’homme, son sabre s’enfonça entre les côtes de Shizuka qui sursauta avec un craquement d’os.
Le sang du duelliste se mêla à celui de sa victime. Shizuka posa une main tremblante sur sa plaie avant de la lever devant ses yeux. Il chancela et s’affaissa, souriant.
« Magnifique… » 

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